Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/218

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me l’a envoyé afin que j’en dise mon avis. Mon avis est que le sujet est ingrat, et qu’à moins que le musicien ne fasse des prodiges, l’ouvrage ne réussira pas[1]. La Baronne ne sait sur quel pied danser dans cette aventure ; elle n’aime pas le poëte, mais elle prend l’intérêt le plus vrai au musicien : c’est de Kohaut, son maître de luth, celui qui a fait une si jolie soirée à Mme Le Gendre et à Mlle Mélanie. J’arrivai hier comme l’auteur et le musicien se querellaient, « Eh ! mes amis, leur dis-je, vous vous pressez trop ; attendez après la première représentation. »

La comédie est d’un de ces jeunes Marseillais[2] que l’ami Gaschon m’a amenés ; elle est mauvaise, et le pis c’est qu’elle ne promet rien de mieux.

La tragédie est d’un jeune homme, grand admirateur du Siège de Calais, à qui j’ai eu bien de la peine à faire entendre que le temps des reconnaissances et des conjurations était passé, et qu’il y avait presque autant de difficulté à présent à trouver un sujet heureux, intéressant et neuf, qu’à le bien traiter.

La traduction est celle que l’abbé Le Monnier a faite de Térence. En vérité, j’ignore quand le pauvre abbé sortira de mes mains ; car les amis, qu’on craint moins de mécontenter que les indifférents, sont toujours les derniers servis.

L’ouvrage politique[3] est de ce pauvre abbé Raynal que je fais sécher d’impatience et d’ennui depuis six mois ; et le mémoire est d’un Écossais appelé M. Fluart, qui dispute un grand titre et un héritage de plusieurs millions à un enfant supposé par des parents entêtés de la postéromanie. C’est presque une cause autant du ressort du géomètre que de l’homme de loi. C’est là qu’un homme qui saurait calculer les probabilités aurait beau jeu. Si cette affaire m’était personnelle, je chercherais quel est le degré de vraisemblance d’après lequel le juge se croit autorisé à condamner à mort un coupable, et je ne crois pas que je fusse embarrassé à démontrer que la vraisemblance de la supposition de l’enfant dont il s’agit est la plus grande ; d’où je conclurais contre les juges mêmes qu’il y aurait bien de l’atrocité à

  1. Cet opéra-comique, mis en musique par Kohaut, tomba sur le théâtre de la Comédie-Italienne, le 19 février 1766.
  2. Barthe.
  3. Sans doute l’Histoire philosophique des Deux-Indes à laquelle Diderot prit une part qu’on n’a pu déterminer exactement.