Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/29

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vingt pour moi, à trente-sept sous la livre. La modicité du prix m’a rendu la qualité suspecte. Voilà une phrase cadencée qui pue l’Académie. Si vous voulez en sentir tout le ridicule, dites-la du ton gascon dont M. Mairan disait à Rendu, son valet de chambre, de le tirer d’une mare d’eau : Rendu, sauvez-moi de ce déluge, d’une façon quelconque. Je suis un furieux bavard, n’est-ce pas, mon amie ? Mais nous l’avons essayé, Grimm et moi, et nous l’avons trouvé bon. Demandez à madame votre mère si elle en veut toujours. Ce traître Damilaville en a quatre-vingts livres, de Marseille, dont il ne céderait pas un grain. Ferai-je mieux que lui ? Oh ! ma foi, je n’en sais rien.

Vous me direz apparemment ce que M. Duval aura chanté. À M. Duval, rue des Vieux-Augustins, etc. Quelle diable d’adresse est-ce là ? Cela m’a un peu brouillé.

Mais est-ce qu’Uranie ne daignera pas prendre la plume un jour, et mettre un petit mot de sa main à la fin d’une de vos lettres ? Un petit mot doux pour celui qui fait tout pour lui marquer son respect, lui inspirer une haute idée d’elle-même, celle qu’il en a, et mériter un peu son estime.

Je ne sais pas ce qu’il y avait dans ma dernière lettre, sur le vice et sur la vertu d’assez passable, pour que vous ayez osé en faire part à madame votre mère. De quoi s’agissait-il ? Je mets si peu de prétention à ce que je vous écris que, d’un courrier à l’autre, la seule chose qui m’en reste, c’est que j’ai voulu vous rendre compte de tous les instants d’une vie qui vous appartient, et vous faire lire au fond d’un cœur où vous régnez.

Adieu, ma tendre amie. Voilà encore un petit volume. Si j’en avais eu le temps, j’y aurais mis une épître dédicatoire. Il arriva avant-hier, chez Damilaville, une petite aventure qui prouve que rien ne gagne comme l’exemple de la bonté.

Un habile garçon, qui s’appelle Desmarets, devait être envoyé en Sibérie pour y faire des observations ; il n’ira pas. On lui préfère un sot appelé l’abbé Chappe[1]. Desmarets, Tillet, et un

  1. Diderot partageait les préjuges de ses contemporains contre ce savant, à qui l’on peut reprocher des observations légèrement faites ou inutiles, mais qui n’en mourut pas moins victime de son amour pour la science, dans un voyage en Californie, le 1er août 1769. Grimm s’est égayé (Corr. litt., mars 1769) sur le compte de l’abbé et des estampes de Moreau le Jeune qui ornent la première édition de son Voyage en Sibérie fait en 1761. (Debure, 1768, 3 vol. gr. in-4 et atlas.) L’Antidote contre un mauvais livre, etc., etc., dont il a été question dans une note des Lettres à Falconet, a été écrit sous l’inspiration de Catherine et peut-être revu par le sculpteur. M. Taschereau renvoie aussi à une brochure : Lettre d’un style franc et loyal à l’auteur du Journal encyclopédique. 1771, in-12, que nous n’avons pu rencontrer.