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CXVI


Paris, le 20 octobre 1768.


J’entends : mademoiselle est au régime. Tous les huit jours une fois ; elle ne peut pas écrire davantage. Qu’en arrive-t-il ? c’est que pour peu que M.*** soit ivre le soir, il remet au lendemain l’ouverture de son paquet ; pour peu que le commissionnaire de l’hôtel de Clermont soit paresseux, il diffère sa course rue Saint-Honoré ; pour peu que je mette d’intervalle entre les visites que je rends au malade, je suis la quinzaine sans entendre parler de mes amies. Et puis la colère me prend, et j’écris un billet doux tel que celui que vous lisez dans ce moment.

Votre parent est un bourru ; il a perdu sa femme, et la perte n’en est peut-être pas grande ; il s’est tout fait donner par elle ; je ne l’en blâme pas. Les héritiers en sont enragés, et c’est bien fait à eux. Ils ont réclamé une certaine chaise à porteurs dont il a tant été question par le passé. Ils se sont adressés à Mme Geoffrin, qui leur a répondu qu’elle avait été délivrée à M. de *** ; mais qu’en tout cas, il n’y avait qu’à y mettre un prix, et qu’elle le payerait sans qu’il fût besoin d’élever de nouvelles tracasseries pour cette guenille. M. de ***, qui est processif autant que la dame de la rue Saint-Honoré l’est peu, s’est jeté à la traverse, a soutenu la validité de la délivrance de la chaise à porteurs, et offert à Mme Geoffrin des armes contre les héritiers. Mme Geoffrin lui a répondu qu’on n’avait que faire d’armes quand on n’avait point envie de se battre. Réplique de l’homme de Gisors ; réplique à la réplique, tant et si bien que la vivacité, les mots, l’aigreur s’en sont mêlés, et qu’il est arrivé de Gisors une dernière lettre pleine d’injures grossières accompagnées de la menace d’un libelle. Là-dessus, voilà la dame de la rue Saint-Honoré qui grimpe à mon grenier, qui se précipite sur une chaise et qui m’étale tous ses papiers. Je me suis fâché ; j’ai écrit à M. de *** une lettre honnête, mais ferme ; je lui laisse voir mon goût pour la paix ; mais je ne lui dissimule pas que si la guerre a lieu, je la ferai à feu et à sang. Je le préviens en