Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/306

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Si j’avais réussi ! Ah ! madame de Blacy, je crois que j’en mourrais de joie. Je préférerais ce succès à une nuit d’une femme que j’aimerais… que j’aimerais autant que vous.

Notre malade a fait une observation singulière, c’est que ses glandes augmentent quand ses douleurs diminuent, et réciproquement. Ses glandes sont énormes, aussi ne souffre-t-il plus ; il dort, mais il ne saurait marcher. Il mange, mais c’est avec dégoût. Tronchin ne sait où il en est, car il a abandonné son premier traitement : il tâtonne.

Voltaire vient de nous envoyer une fable charmante ; elle a deux ou trois cents vers : c’est le Marseillais et le Lion. On ne saurait conter avec plus d’esprit, plus de gaieté, plus de facilité, plus de grâce. C’est l’ouvrage de la jeunesse ; si elle me tombe sous la main, je vous l’envoie.

Je suis brouillé avec Grimm. Il y a ici un jeune prince de Saxe-Gotha. Il fallait lui faire une visite ; il fallait le conduire chez Mlle Biberon ; il fallait aller dîner avec lui. J’étais excédé de ces sortes de corvées. Je m’en suis expliqué fortement. Je me console du mal que me fait cette brouillerie par la certitude que nous nous raccommoderons, et l’espérance qu’il n’y reviendra plus. Ces ridicules parades-là m’étaient insupportables.

M. Devaisnes[1] est marié. Il m’a écrit une lettre charmante pour m’inviter à faire liaison avec sa famille. Je m’y suis refusé nettement.

J’ai reçu de Sainte-Périne une lettre qui déchire l’âme.

Le Baron a fait quelques voyages à Paris. Je vois qu’il ne me pardonne pas la solitude dans laquelle je l’ai laissé. Cela s’entend ; il fallait laisser souffrir Damilavile tout seul à Paris, et m’en aller passer gaiement un ou deux mois au Grandval.

Mme Therbouche me fera devenir fou. Vous savez qu’elle est retombée dans l’abîme de l’hôtel garni. Un de ces matins, je ferai un signe de croix sur sa tête, et je me retirerai chez moi.

J’ai entrepris de faire payer cinq ou six créanciers de ce qui leur est dû. Madame de Blacy, je me recommande à vos saintes prières.

J’ai bien peur que l’ami Naigeon ne soit un peu coiffé de la

  1. M. Devaisnes était alors premier commis des finances.