Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/362

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lequel j’espère que vous voudrez bien me seconder. J’avais pensé que les fibres du cœur se racornissaient avec l’âge ; il n’en est rien ; je ne sais si ma sensibilité ne s’est pas augmentée : tout me touche, tout m’affecte ; je serai le plus insigne pleurnicheur vieillard que vous ayez jamais connu. Adieu, mesdames et bonnes amies ; encore un petit moment et nous nous reverrons. Je vous salue et vous embrasse de tout mon cœur. Madame de Blacy, on dit que, pendant mon absence, quelqu’un m’a coupé l’herbe sous le pied. Si vous êtes restée ce que vous étiez, vous auriez tout aussi bien fait de me garder. Si vous vous êtes départie de la rigidité de vos principes, je vous félicite de votre perversion et de votre inconstance. Comme je vais être baisé de Mme Bouchard si elle a conservé son goût pour l’histoire naturelle ! J’ai des marbres, et tant de baisers pour les marbres ; j’ai des métaux, et tant de baisers pour les métaux ; des minéraux, et tant de baisers pour les minéraux. Comment fera-t-elle pour acquitter toute la Sibérie ? Si chaque baiser doit avoir sa place, je lui conseille de se pourvoir d’amies qui s’y prêtent pour elle : mes baisers, comme vous pensez bien, seront les plus petits que je pourrai ; mais la Sibérie est bien grande. Vous auriez fait la même faute que moi, si vous m’aviez laissé oublier de M. et Mme Digeon. Dites encore un petit mot de moi à M. Gaschon, si vous le revoyez avant moi. Il n’aura pas encore résigné sa charge de satellite du plaisir, la plus excentrique de toutes les planètes, qui le promène avec elle sur toutes sortes d’horizons. Adieu, mes bonnes amies ; adieu ; je reparaîtrai bientôt sur le vôtre, et pour ne plus m’en éloigner.


FIN DES LETTRES À MADEMOISELLE VOLLAND.