Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/45

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sommeil enchaînera tous ces êtres bruyants qui les distraient et qui les importunent qu’ils se retrouveront avec leur amie.

Vous voilà donc bien fière de sa bonne humeur. Jouissez-en. Pour moi, j’en serais affligé. Je ne pourrais souffrir de devoir à la satisfaction d’une misérable petite fantaisie le prix de mon attachement, de mes soins, de ma tendresse, d’une infinité de qualités personnelles. Il est bien malheureux qu’elle n’ait pas tous les jours des casaquins estropiés à raccommoder ; vous seriez dispensée d’être vraie, douce, honnête, attentive, franche, soumise, vertueuse, désintéressée ; vous seriez chérie sans toutes ces misères-là.

C’était bien mon dessein de ne pas écrire à ce méchant et extraordinaire enfant des Délices[1] ; mais comment pourrai-je à présent m’en tirer ? Voilà-t-il pas que Damilaville et Thiriot m’ont mis dans la nécessité de lui faire passer mes observations sur Tancrède !

Le chevalier de Jaucourt. Ne craignez pas qu’il s’ennuie de moudre des articles ; Dieu le fit pour cela. Je voudrais que vous vissiez comme sa physionomie s’allonge quand on lui annonce la fin de son travail, ou plutôt la nécessité de le finir. Il a vraiment l’air désolé. Je serai quitte de mon ouvrage avant Pâques, ou je serai mort. Vous en croirez tout ce qu’il vous plaira, mais cela sera. Ce qui me prend un temps infini, ce sont les lettres que je suis forcé d’écrire à mes paresseux de collègues, pour les accélérer. Ils ont la peau si dure, que j’ai beau piquer des deux, ils n’en vont pas plus vite ; mais, sans l’attention de leur tenir sans cesse l’éperon dans le flanc, ils s’arrêteraient tout court.

Thiriot est un bon homme qui n’est ni suffisant, ni fat. Il a une mémoire étonnante, et il aurait assez d’esprit s’il savait moins. Il a tout retenu. Au lieu de dire d’après lui, il cite toujours ; ce qui fatigue et déplaît.

Je trouve que vous avez envisagé la question de la louange sous bien plus de faces que je n’ai fait. Mais vous m’avez seulement demandé pourquoi elle embarrassait. Il est vrai que vous êtes un peu baroque. Mais c’est que les autres ont eu beau se frotter contre vous, ils n’ont jamais pu émousser votre aspérité

  1. Voltaire. La lettre que Diderot lui écrivit est du 28 novembre 1760 ; on la trouvera dans la Correspondance générale.