Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/47

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n’être pas pour. Je n’en sais rien. Je ne l’ai pas entendu. Je laisse là les équations, je juge du procédé.

Est-ce toujours le 4 décembre que vous partez ? Et cette lettre sera-t-elle enfin la dernière ? Votre lettre ne sera remise à Mlle Boileau qu’après-demain ; mais aussi elle lui sera remise de la main à la main. Mme d’Épinay a eu un accès de migraine dont elle a pensé périr. J’allai la voir le lendemain. Nous passâmes la soirée tête à tête. La sévérité des principes de son ami[1] se perd ; il distingue deux justices, une à l’usage des souverains. Je vois tout cela comme elle, cependant je l’excuse tant que je puis. À chaque reproche, j’ajoute en refrain : Mais il est jeune, mais il est fidèle, mais vous l’aimez, et puis elle rit. Nous en étions là lorsque Saurin entra. Comme il était réservé ! comme il était froid ! comme il était révérencieux ! et comme, un moment après, il était violent, emporté, bourru, impoli ! Il est plus clair que le jour qu’il en est tombé amoureux. Ce n’est pas là son allure ordinaire. Saurin sortit, et l’abbé Galiani entra, et avec le gentil abbé, la gaieté, l’imagination, l’esprit, la folie, la plaisanterie, et tout ce qui fait oublier les peines de la vie. Dieu sait les contes qu’il lit. À propos des faux jugements que nous portons sur le préjugé que la chose étant communément comme nous l’attendons, elle ne sera point autrement ; il disait qu’un voiturier qui menait, avec ses chevaux et sa chaise, le public, fut appelé au couvent des Bernardins pour un religieux qui avait un voyage à faire. Il propose son prix, on y tope ; il demande à voir la malle, elle était à l’ordinaire. Le lendemain, de grand matin, il arrive avec ses chevaux et sa chaise ; on lui livre la malle, il l’attache. Il ouvre la portière ; il attend que son moine vienne se placer. Il ne l’avait point vu ce moine ; il vient enfin. Imaginez un colosse en longueur, largeur et profondeur. À peine toute la place de la chaise y suffisait-elle. À l’aspect de cette masse de chair monstrueuse, le voiturier s’écrie : « Une autre fois je me ferai montrer le moine. » Tous les jours nous demandons à voir la malle, et nous oublions le moine. Une femme a les yeux charmants, la plus jolie bouche, des tétons à affoler : voilà la malle. Il nous vint à Grimm et moi, en même temps, une bonne application de ce conte. La comédienne Lepri n’au-

  1. Grimm.