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Damilaville et quelques autres font un bruit horrible au milieu duquel je vous écris. C’est une incommodité à laquelle je suis souvent exposé ; mais ici, du moins, je ne crains point que la curiosité s’approche de moi sur la pointe du pied, et vienne, penchée sur mon épaule, lire les lignes que je lui dérobe. Adieu, encore une fois. Ni moi non plus, je ne désire que d’être aimé autant que j’aime… Je suis un peu inquiet de la santé d’Angélique[1]. C’était comme une fluxion qui lui prenait l’œil, la tête, la joue et l’oreille droite ; à présent c’est une toux sèche, avec de la douleur de gorge, et un bruit rauque qui me chiffonne ; demain peut-être cela ne sera plus rien, mais il y aura autre chose, et on est pire tous les jours.

Comme je vous embrasserais toutes deux, si j’étais là !… Ne m’oubliez pas auprès de M. Vialet.


LXV


À Paris, le 25 octobre 1761.


Voyons si je parviendrai à vous écrire un mot. Me voilà dans l’état d’un corps sain, ou je n’y serai jamais. Depuis plusieurs jours, j’ai supprimé toute nourriture solide, et il ne me reste pas la moindre impureté ; car où serait-elle encore ? et comment serait-elle produite ? J’ai souffert des tranchées bien cruelles et sans savoir à quoi m’en prendre ; car j’ai été sobre comme un anachorète. Le ton gai dont je vous parle de mon indisposition vous rassurera sur ses suites, et le premier courrier vous apprendra que ce n’est plus rien. Sans le caractère de philosophe dont il faut soutenir la dignité, surtout aux yeux du vulgaire qui nous entoure, je vous assure que j’aurais crié plus d’une fois, au lieu qu’il a fallu soupirer, se mordre les lèvres et se tordre. Si je ne craignais de me perdre dans votre esprit, je vous avouerais que j’ai même fait par forfanterie quelques mauvaises

  1. Sa fille.