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J’attends avec impatience votre réponse à ma dernière lettre. Êtes-vous toujours seule ? Adieu mille fois, et mille baisers de loin qui n’en valent pas un de près.


LXVII


Paris, ce 28 juillet 1762.


Voici encore tout plein de bâtons rompus… Si vous ne vous rappelez pas vos propres lettres, celle-ci sera pire qu’un chapitre de l’Apocalypse.

Voilà donc une de mes lettres perdue ; et qui sait ce qu’il y a dans cette lettre, en quelles mains elle est tombée, et l’usage qu’on en fera ? Comus ne perfectionnera-t-il pas son secret ? Ce Comus est un charlatan du rempart qui tourne l’esprit à tous nos physiciens. Son secret consiste à établir de la correspondance d’une chambre à une autre, entre deux personnes, sans le concours sensible d’aucun agent intermédiaire. Si cet homme-là étendait un jour la correspondance d’une ville à une autre, d’un endroit à quelques centaines de lieues de cet endroit, la jolie chose ! Il ne s’agirait plus que d’avoir chacun sa boîte ; ces boîtes seraient comme deux petites imprimeries, où tout ce qui s’imprimerait dans l’une, subitement s’imprimerait dans l’autre… Trêve de plaisanterie, si Morphyse, si Damilaville, ou M. Gillet… ; vous m’entendez, après tout, tant pis pour les deux premiers : ils n’auraient eu que ce qu’on gagne à écouter aux portes.

À présent, que tout est sens dessus dessous chez M...., on m’y voit peu ; je ne veux pas qu’on me fasse parler. Ils ont brouillé leur écheveau, qu’ils le débrouillent. Les longues soirées que j’allais passer là, je les emploie à lire, à prendre le frais sur le bord de la rivière, à voir, de la pointe de l’île, les eaux de la Marne qui viennent de vous à moi, et à leur demander des nouvelles des pieds blancs de celle que j’aime ; et puis quand la tête est prise de ces idées-là, on ne saurait s’en tirer ; elles sont si douces ! Comme les heures coulent ! que le temps