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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVII.djvu/491

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LUI ET MOI.




Personne n’a jamais su comme lui combien j’étais bête ; il doit, il m’emprunte de l’argent pour payer ses dettes et s’en sert pour faire imprimer une satire contre moi. Avant que de faire imprimer sa satire, il me la lit. Je lui montre qu’elle est mauvaise et il se sert de mes conseils pour la rendre meilleure. Quand il croit avoir tiré de moi tout le parti qu’un coquin peut tirer d’un sot, il vient me voir, il me dit qu’il est un coquin, me laisse clairement entendre que je suis un sot, me tire sa révérence et s’en va[1].

Au bout de cinq à six mois, je le retrouve au coin de la rue Maçon. Il rasait le mur, il n’avait pas pour vingt sous de hardes sur tout son corps. Il était maigre, sale et hâve. Il paraissait accablé de misère et de vilaines maladies. Il m’arrête et nous causons.

moi.

Comme vous voilà !

lui.

Il est vrai que je suis fort mal.

  1. Vous qui savez tout, savez-vous de l’histoire naturelle ? — Tout le monde en sait. — Vous avez entendu parler du formicaleo ? — Oui. — C’est un petit animal fort adroit. Il établit sa demeure au fond d’un sable fin. Là il se fait une niche en entonnoir renversé. Il couvre la surface de cet entonnoir d’une surface de sable très-légère et très-mobile. Si un autre insecte inconsidéré vient se promener sur cette surface, il s’enfonce et tombe au fond du trou où le formicaleo s’en saisit, le dévore et lui dit : « Monsieur, je suis bien votre serviteur. » (Diderot.)