Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/105

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lion aura passé aux siècles à venir, voici ce qu’ils en diront…[1], mon éloge est celui du présent et de l’avenir.

Vous continuez : Quoi ! n’y a-t-il que cette foule d’adorateurs futurs et illimités qui puisse vous satisfaire ? Je ne dis pas cela, je n’en exclus aucun, et pourquoi exclurais-je ceux qui ne sont pas ? Est-ce que si vous avez fait un ouvrage aussi parfait que le Gladiateur, ce n’est pas l’éloge de la postérité que vous entendez dans celui d’Agasias ? Agasias n’est plus, mais son ouvrage achevé, était-il ridicule qu’au milieu des acclamations des Athéniens, il discernât la voix de Falconet qui n’était pas encore ?

On savait assez de son temps qu’Agasias avait fait le Gladiateur, et soyez sûr, mon ami, que ce n’est pas pour son siècle qu’il écrivit au pied de sa statue : ΑΓΑΣΙΑΣ ΕΠΟΙΕΙ. Voilà l’âme, voilà la grande âme. Comme l’œil et l’esprit qui s’élancent jusqu’aux étoiles fixes, elle se porte dans la durée et dans l’espace à des intervalles immenses. Si vous connaissiez alors sa joie, son tressaillement, son ivresse ! Mais vous la connaissez.

On plaignait Épaminondas de mourir sans enfants : « Que dites-vous ? répliqua-t-il d’une voix moribonde ; et Leuctres et Mantinée mes deux filles ! » Voilà, mon ami, la famille dans laquelle il avait vécu, et dans laquelle il se voyait survivre avec joie.

Je vous prie, mon ami, de lire cela à des femmes, et vous me direz si elles ont ri. Je sais bien que dans leurs plus grands écarts d’orgueil, leur imagination ne va point au-delà de leur vie. Vous avez très-bien dit : Les femmes en général, ainsi que bien des hommes, ne laissent rien à la postérité. Quand elles ne sont plus c’est omnino. Sur quoi diable compteraient-elles dans ce pays-là ?

Pourquoi ne vous êtes-vous pas toujours chargé de répondre vous-même à vos objections ? Vous ne m’auriez rien laissé à dire.

Insatiables philosophes, nous dites-vous, appréciateurs simulés des vrais biens, vous jouissez de Junon, et vous courez encore après la nuée. Hélas ! mon ami, laissez faire

  1. Il y a ici une lacune dans le manuscrit.