Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/118

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Ce billet que vous avez mis à la loterie vient de sortir avec un assez bon lot, et qui peut vous faire une rente perpétuelle, vous en convenez. Pourquoi donc le réduire à une rente viagère ?

Mais j’argumente contre vous, comme si vous étiez le maître de cette réduction. Vous n’en êtes pas le maître, car au moment où vous avez pensé avec complaisance qu’elle était perpétuelle, elle l’est devenue et vous l’avez touchée.

Je ne vous propose pas de vivre après votre mort. Mais je vous propose de penser, de votre vivant, que vous serez honoré après votre mort si vous l’avez mérité.

Et si le billet n’eût pas porté, dites-vous ? Qu’est-ce que cela signifie ? Ou que l’ouvrage que vous avez exposé était vraiment excellent et qu’il a été mal jugé, ou qu’il était mauvais et qu’il a été jugé tel. Dans ce dernier cas, vous n’eussiez ni mérité ni obtenu ni rente perpétuelle ni rente viagère. Dans le premier, vous eussiez emprunté sur l’avenir ; c’est la caisse des malheureux. Je vous ai dit plus haut la différence du jugement de la postérité et du jugement présent, et je n’y reviens pas.

Mais il me vient une idée que je ne veux pas perdre. Nous avons peut-être pris l’un et l’autre le parti qui nous convient. Vous êtes sculpteur et moi je suis littérateur. Mille causes physiques menacent votre chef-d’œuvre, et peuvent en un instant le mettre en pièces. Le sentiment de l’immortalité, s’il était vif, deviendrait un supplice pour vous. Mon chef-d’œuvre est à l’abri de tout événement, et il ne peut périr que dans le bouleversement de la nature. Que votre condition devienne la mienne et que la mienne devienne la vôtre, je vois si communément nos opinions, nos jugements, nos mépris, nos engouements, nos principes, notre morale même subir la loi des circonstances personnelles, que je ne serais pas étonné que vos prétentions ne s’étendissent d’autant que les miennes se restreindraient. Nous n’avons pas la même certitude d’être jugés au tribunal à venir.

Homère, dites-vous, a peut-être mendié son pain en chantant dans les rues son poème divin, et j’ajoute qu’au même temps peut-être, quelque Chapelain grec était assis à la table des rois. Après ? qui est-ce qui empêchait Homère dans la rue de penser qu’un jour il serait sous le chevet d’Alexandre et que le Chapelain serait dans la rue ? Vous qui parlez, auriez-vous