Pour un panégyriste de l’étoffe de Pline, vous l’aurez sans doute, mais consolez-vous-en, ce ne sera pas de votre vivant ; c’est un malheur qui est si loin ! si loin ! En attendant celui-là, je me surprends à tout moment devant l’autre, comme vous devant le Laocoon. Il me confond.
Quelques-uns de vos contemporains, honnêtes gens et éclairés, vous ont assuré que vous ne mourriez pas tout entier. Vous les en avez crus sur leur parole, vous avez été sensible à leur témoignage ; vous avez donc assisté à votre oraison funèbre, et vous ne l’avez pas entendue sans plaisir ? Eh ! croyez, mon ami, que Turenne n’était pas si attentif à celle du grand Condé, qu’il ne substituât quelquefois son nom propre dans la bouche de Bossuet. Tous les grands hommes : que dis-je tous les grands hommes ? il n’y a aucun homme, grand ou petit, qui n’ait suivi son convoi. La dernière fois, la vraie, n’est que la centième. Lorsque Turenne lisait de Judas Machabée[1] : Fleverunt eum omnis populus Israel planctu magno, et lugebant dies multos, et dixerunt : quomodo cecidit potens, qui salvum faciebat populum Israel ! s’il n’eût pas été homme aussi modeste que grand capitaine, il eût écrit sur ses tablettes : Beau texte pour mon oraison funèbre. Mais quelle est la différence de l’homme modeste et de l’homme vain ? Vous le savez. L’un pense et se tait ; l’autre parle. Nous voyons un homme ceint d’une corde et suspendu à une grande hauteur ; à l’instant nous nous mettons à sa place et nous frémissons. Et vous croyez que notre imagination est moins ingénieuse à s’accrocher, lorsque le plaisir, la vérité, la justice, tout l’y convie ?
Et que m’importe que ce soit avant ou depuis la question entamée que vous ayez été dans le vrai ? Vous avez toujours cru que ce qui peut être loué comptant pourrait l’être encore après nous. Voilà votre credo ; mais vous protestez qu’il ne sera jamais plus long. Vous vous trompez, vous y ajouterez, s’il vous plaît, que cette persuasion est douce et que c’est du comptant. Je ne suis pas assez fou pour exiger que vous rêviez de même couleur que moi ; mais je jure que vous avez fait ou que vous ferez mon rêve ; il durera un peu plus, un peu moins, ce sera avec un peu plus un peu moins de magie, de clair-obscur ; la
- ↑ Lib I, cap. ix.