Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/155

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Épaminondas sur le champ de bataille pensait-il au jugement de l’avenir ? Quelle question ! votre allure de côté m’amuse toujours. Qu’Épaminondas fût ou ne fût pas occupé sur le champ de bataille du respect de la postérité, qu’est-ce que cela fait à la réalité, à l’utilité, à la noblesse de ce sentiment ?

Je dis qu’Épaminondas brûla de cet enthousiasme, et cela est vrai. Je dis que ce feu sacré échauffait son cœur avant que de se présenter dans les plaines de Leuctres et de Mantinée, et cela est vrai. Je dis qu’il agissait, sourdement en lui-même dans la chaleur du combat, et cela est vraisemblable. Je dis qu’en mourant il avait les regards attachés sur la postérité, et c’est sa réponse à ses amis qui l’atteste[1].

Si un sentiment habituel, bon ou mauvais, s’est emparé de notre âme, il y subsiste et nous dirige même à notre insu.

Du paragraphe d’Épaminondas vous sautez tout de suite à l’endroit où je dis : « Mes contemporains m’apportent avec leur éloge celui de la postérité, etc. », et conviennent sans tergiversation, sans restriction, de la vérité de mon raisonnement. Vous cherchez la différence essentielle entre votre sentiment et le mien : eh bien, soit. Nous sommes du même avis, mais nous étions d’avis fort différents au commencement de la dispute, et je suis resté dans le mien[2].

Je vous écrivais : « Dites à un homme : Si tu fais ainsi, tu seras béni dans tous les siècles ; et ses entrailles en traissaillelont de joie. Ajoutez : Et si tu fais autrement, ton nom sera exécré, et il frémira. »

Que me répondez-vous ? que je vous tends un piège, que je vous prends pour une âme équivoque, que je vous prêche le catéchisme des enfants. Je le donne en cent au meilleur esprit à deviner la liaison qu’il y a entre mon objection et votre réponse[3]. Le piège que je vous tends, mon ami, est celui que

  1. « Comme je ne vous ai pas dit le contraire, je vous demande à qui vous répondez. »
  2. « J’ai dit en commençant et en continuant la dispute que l’avenir est une conséquence nécessaire du présent, je le dis encore : cela s’appelle-t-il change d’avis ? »
  3. « Vous demandez la liaison qu’il y a entre votre objection et ma réponse. La voici cette liaison. Si je veux obtenir quelque chose d’un enfant mal élevé ou d’un valet intéressé, je promets une pomme à l’un ou je le menace du fouet, je montre une récompense ou une punition à l’autre. Eh bien ! voyez-vous cette liaison ? Voulez-vous que j’ajoute qu’un honnête homme n’aurait besoin ni de ma menace ni de ma promesse ? »