Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/171

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lumière, du tonnerre, du silence, de la fraîcheur, de l’air, lorsque l’art fait illusion, loin de me paraître bourgeois, est à mon goût tout à fait laconique et juste. Je reçois en quatre mots une idée nette de l’esprit, de la vérité et de la hardiesse de l’artiste. Lorsqu’il s’agira du goût et de la valeur d’un tour latin, je demande que mon avis soit du même poids que le vôtre[1].

Un artiste jaloux de la durée de son ouvrage, quater colorem induxit subsidio injuriæ velustatis, ut descendente superiore, inferior succederet[2]. Vous ne comprenez point ce technique ; je ne le comprends guère plus que vous ; donc il est impossible. Et s’il y avait entre chaque tableau une couche à gouache qui les séparât ? Si vous saviez, mon ami, mais vous le savez, combien de fois il est arrivé, et dans des manœuvres tout autrement inconcevables que celles-ci, que le temps et l’expérience ont justifié Pline de mensonge ou d’ineptie ; en sorte que, la chose avérée et connue, il n’est plus resté à ses critiques qu’à admirer la précision et la netteté de son discours. La postérité s’en est rapportée à lui, comme à tout autre auteur, à proportion du discernement qu’elle lui a trouvé ; mais, depuis environ un demi-siècle, elle lui a trouvé du discernement à proportion du progrès qu’elle faisait elle-même dans la connaissance des choses[3].

  1. « Vous vous moquez, il s’agit bien ici d’un tour latin ! Il s’agit de savoir si Apelles, en représentant les éclairs, le tonnerre, la foudre, peignait des objets de la nature qu’il n’est pas possible de peindre : Pinxit et quæ pingi non possunt. Aucun peintre n’ignore ces sortes de représentations, et l’effet qu’elles doivent produire dans un tableau, à moins qu’il ne soit dépourvu d’imagination. Chacun y réussit à proportion de son talent. Mais l’estime n’est accordée qu’au plus haut degré de perfection. Eh bien ? voulez-vous de l’indulgence ? »
  2. Plin., lib. XXV, cap. x.
  3. « Vous glissez encore ; je vous pardonne encore. Il viendra peut-être un siècle qui, par de plus grands progrès dans la connaissance des choses, justifiera Pline des vingt ou vingt-cinq extraits que je vous ai envoyés sur d’autres matières que les arts. Croyez-moi, ne vous faites pas le chevalier de Pline, il n’en est pas de son ouvrage comme de celui de Polygnote ; il existe, et vous trouveriez de mauvais garçons qui vous pousseraient sans miséricorde ; or, je ne veux pas que mon Diderot soit si rudement battu.

    « Pline dit qu’on apprivoise promptement les éléphants avec du suc d’orge. Capti celerrime mitificantur hordi succo*. Dioscoride dit que l’ivoire devient plus maniable quand il est trempé dans du suc d’orge. Le mot ἐλέφας, qui signifie ivoire aussi bien que l’éléphant, a trompé Pline et l’a convaincu de légèreté. Le moyen que cela fût autrement ? il se faisait lire les grecs en voyageant, en prenant ses repas ; il dictait en même temps. Vous voyez bien, mon ami, que si vous avez quelques lances de réserve, il faut les garder pour une meilleure occasion. En attendant, faites lire Pline à des frères Jacques ; et vous conviendrez de ces extraits faits en courant pendant le souper, et vous ne serez pas plus tenace que le neveu de Pline**. »

    * Lib. VIII, cap. vii.
    ** Lib. III, cap. v.