Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/230

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nous regrette ; mais le général Betzky nous remplace. Il fera certainement une grande chose, car il aura le repos sans lequel le génie s’éteint, le talent se cherche et ne se retrouve pas ». Mon ami, vous voilà donc dehors de la plus grande des inquiétudes. L’impératrice sait la pensée de votre monument et l’approuve, et comment avons-nous pu douter qu’elle ne l’approuvât ? Elle est grande cette pensée, elle est simple, elle est violente, elle est impérieuse, elle caractérise le héros. Vous me parlez du prince Galitzin ? Que voulez-vous, mon ami, que je vous en dise ? C’est une des belles âmes que le ciel ait formées. Il est heureux de ce que nous le sommes ; et il l’est autant que nous. Il me disait en m’embrassant : « Non, quand l’impératrice m’aurait donné un million à moi-même, je ne lui en saurais pas plus de gré que de ce qu’elle a fait pour vous. » Et croyez-vous que son rôle à Paris soit déplaisant dans ce moment ? Où est l’ambassadeur qui ait le droit d’être aussi vain que lui ? Il ne saurait faire un pas, il ne saurait entrer dans une seule maison, sans y entendre l’éloge d’une souveraine qu’il adore. — Ma foi, mon ami, il n’y a que ma position qui soit aussi agréable que la sienne.

Mais dites-moi, je vous prie, si c’est sa faute à lui que sa maîtresse soit grande.

Travaillez donc, mon ami, travaillez donc, bonne amie. Faites l’un et l’autre de belles choses. Tout vous y convie. Eh bien, nous vous avons donc desservis en vous annonçant trop favorablement. Tenez, il me prend envie de vous envoyer la lettre du général Betzky, afin que vous y lisiez de vos propres yeux que nous sommes des maussades qui ne connaissons que la moitié du mérite de nos amis et qui ne savons pas en parler comme il convient. C’est un des reproches qu’il me fait entre beaucoup d’autres. Par exemple, il ne veut plus être Son Excellence pour moi. Que diable voulez-vous que je réponde à cela, sinon de le prendre au mot ? Il est bien aisé de se défaire du titre quand on a la chose. Eh bien, quand la très-gracieuse souveraine daignait vous entretenir de vous et de moi, à votre avis, il n’y manquait donc qu’une chose, c’est que je fusse à votre place. Si j’y avais été, ce n’est pas comme cela que j’aurais dit : c’est que mon Falconet fût à côté de moi. Le père, la mère, la fille vous jettent leurs bras tout autour du col. Écrivez-moi,