Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leurs idées ; cependant l’erreur reste et circule dans les rues, dans les temples, dans les maisons avec les imperfections de l’idiome. L’esprit s’est renouvelé et c’est toujours la vieille langue qu’on parle. C’est donc l’idiome qu’il faut réinstaurer, travailler, étendre, à moins qu’on ne veuille comme à la Chine faire servir le soulier de l’enfant au pied de l’homme. Il faut apprendre aux peuples qui prononcent aujourd’hui, comme il y a quatre cents ans, les mots de vice, de vertu, de rois, de prêtres, de ministres, de lois, de gouvernement, quelles sont les véritables idées qu’ils doivent y attacher aujourd’hui. C’est de l’idiome d’un peuple qu’il faut s’occuper, quand on veut en faire un peuple juste, raisonnable et sensé. Cela est d’autant plus important, que si vous réfléchissez un moment sur la célérité incompréhensible de la conversation, vous concevrez que les hommes ne proféreraient pas vingt phrases dans toute une journée, s’ils s’imposaient la nécessité de voir distinctement à chaque mot qu’ils prononcent quelle est ou l’idée ou la collection d’idées qu’ils y attachent. Quand je dis les hommes, je parle de vous et de moi. Jugez par là de l’importance des précautions à prendre sur la valeur d’une monnaie si courante qu’on est dans l’habitude et la nécessité de la donner et de la recevoir sans en regarder l’empreinte.

Comblé de bienfaits de Sa Majesté Impériale, pressé de concilier ma gratitude avec d’autres devoirs, je proposais un ouvrage conçu d’après les idées que je viens de vous développer. Je me disais à moi-même : Je suis aimé, estimé de tous les savants de ce pays, de tous les hommes de lettres, de tous les artistes ; dans les cas où mes propres lumières m’abandonneront, j’irai les voir, les interroger, les consulter. Je les mettrai à contribution. À mesure que j’exécuterai en français d’autres s’emploieront à traduire en russe. Quand j’aurai fini, j’irai moi-même à Pétersbourg conférer avec mes septantes par le moyen du latin qui nous servira de truchement commun. Nous donnerons à la version toute la conformité possible avec l’original, et nous publierons le tout sous les auspices de la souveraine.

C’est à la tête de cet ouvrage que nous parlerons dignement de ses ministres, d’elle-même, de ses grandes vues, de ses différents établissements, de tout ce qu’elle aura fait et de tout ce qu’elle se proposera de faire pour le bonheur solide de ses