Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/273

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’intérêt de la vie à venir, et je vois que c’est l’intérêt de la vie présente qui fait tout. Il n’y a aucun despote qui eût le courage de braver l’intérêt général, s’il était évidemment démontré et universellement connu. Mais laissons cela, et permettez-moi de vous rappeler que les Abdéritains appelèrent un jour Hippocrate pour guérir Démocrite prétendu fou. Si Diderot eût écrit de Berlin ce que vous faites écrire à M. de la Rivière, il eût été un maladroit. Mais avec une haute opinion de lui-même et une grande envie d’arriver à temps, pour conseiller le bien, il se serait tu et se serait avancé vers Moscou à franc étrier. Faites-vous montrer la lettre où je dis à M. le général Betzky que je serais à Pétersbourg s’il l’avait ainsi voulu. Je suis sûr que vous entendrez cela tout de suite, et que je n’aurai rien dit que d’honnête. Peut-être aurai-je supposé le général amoureux, comme moi, et assez juste pour ne pas conseiller contre son cœur ce qu’il n’aurait pas lui-même le courage de faire. Il y a si longtemps de cette lettre que je ne sais plus ce que c’est et le général apparemment ne garde pas ces chiffons-là. Au reste, rassurez-le. Ce ne sont pas les phrases françaises qui m’auront fait dire une bêtise ; si, par hasard, j’en ai dit une, il faut la laisser tout entière sur mon compte. Bonjour, mon Falconet, bonjour. Mademoiselle Collot, travaillez-bien. Laissez la femme et toutes ses petitesses à la porte de l’atelier. Les bonnes mœurs et les grands ouvrages répondent à tout. Les envieux ne vous font des fantômes que pour vous retenir dans la médiocrité. S’ils y regardaient de bien près, ils verraient que la décence n’est que le prétexte de leur discours. Combien d’actions malhonnêtes dont ils ne parlent point, parce qu’elles déshonorent ! Combien d’indifférentes qu’ils appellent malhonnêtes, parce qu’elles conduisent ceux qui s’élèvent au-dessus du préjugé à l’opulence et à la considération ! On permet au vice de regarder la nature, et on le défend au talent. Pour Dieu, ne donnez pas là dedans. Mille femmes lascives se feront promener en carrosse sur le bord de la rivière pour y voir des hommes nus, et une femme de génie n’aura pas la liberté d’en faire déshabiller un pour son instruction ? Je me réjouis de vos progrès. Si ma fille avait obtenu les récompenses que vous avez méritées, je n’en serais pas plus sensiblement touché.