Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/287

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Lettres à Eugénie, le dîner de Boulainvilliers, la Contagion sacrée[1], qu’il vous faut ? Ne vous ai-je pas dit que, grâce à une intolérance ridicule et ruineuse, tous nos manuscrits passaient en Hollande et n’en revenaient imprimés qu’à des prix exorbitants ? C’est un plaisir comme on achemine les lettres et la librairie à leur totale extinction. Cela n’empêche pas qu’un grand homme d’État ne professe publiquement que les hommes ne sont malheureux que depuis qu’ils sont éclairés. Je ne crois pas que notre impératrice soit tout à fait de cet avis. En tout cas, si cet Omar projette un jour l’incendie de la Bibliothèque royale, je lui ferai proposer de nous la vendre.

Votre atelier est-il bien, mais bien fermé ? Mieux que vos livres ? Je vous en félicite, autant pour l’emploi de votre temps que pour la sécurité de votre repos. On a dit qu’un sot ouvrait quelquefois un avis important. Depuis que je suis au monde, je n’ai pas encore eu le bonheur de recevoir un de ces avis-là.

Autant les grands princes ont d’influence sur les sciences et les arts, aussi peu ils en ont sur les mœurs. Le progrès des sciences et des arts tient à l’encouragement, à l’éloge, aux honneurs et à la récompense. L’amélioration des mœurs tient à la bonne législation. Tout autre ressort n’est que momentané. Partout où la loi de nature, la loi civile et la loi religieuse seront en contradiction, ces lois successivement enfreintes seront toutes les trois méprisées ; il n’y aura ni hommes, ni citoyens, ni croyants. C’est de là que naît la difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité de donner des mœurs à aucune contrée de l’Europe. Le pays où il y aura le moins de choses faites sera le plus avancé. J’aimerais mieux avoir à policer des sauvages que des Russes, et des Russes que des Anglais, des Français, des Espagnols ou des Portugais. Je trouverais au moins chez les premiers l’aire à peu près nettoyée.

Que Dieu bénisse le ministre qui seconde si bien l’intention de sa souveraine.

Courage, belle amie, donnez-lui bien du chagrin, vous n’avez

  1. Sauf le Catéchumène et le Dîner du comte de Boulainvilliers, qui sont de Voltaire, et le Traité des trois imposteurs, dont une édition venait de paraître sous la rubrique de Yverdon, 1768, tous les livres cités ici sont traduits ou imités de l’anglais, de Toland, par d’Holbach et Naigeon. V. le Dict. des anonymes de Barbier.