Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/299

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Je ne désigne, je n’ai voulu désigner personne. Mais faites toujours que le czar et son cheval n’aillent pas donner du nez en terre. Ce n’est pas qu’on n’eût grand plaisir à vous plaindre.

Tenez, mon ami, je pense que vous n’avez rien, mais rien du tout de ce qui peut faire pardonner la supériorité du talent. On dirait que l’habitude continuelle de vous adresser au marbre vous a fait oublier que nous sommes de chair. Vous brusquez, vous blessez, vous avez sans cesse sur la lèvre ou le sarcasme ou l’ironie. Ils ont dit que vous étiez le Jean-Jacques de la sculpture, et cela ne ressemble pas mal, à la probité près, que vous avez, et que l’on croit à l’autre. Il faut une âme très-forte, presque l’enthousiasme des grandes qualités, pour rester votre ami. Je doute que vous soyez bien sincèrement, bien entièrement aimé d’un autre que de moi et de la jeune élève. Vous êtes un composé bizarre de tendresse et de dureté. Ton ami est toujours disposé à se séparer de toi, contristé, ton amie exposée à verser des larmes. Alternativement délicieux et cruel, il y a des moments où l’on ne saurait te souffrir, et il n’est jamais possible de te quitter. Moi, par exemple, je sens que j’en ai pour toute ma vie.

Je ne vais point ramassant des horreurs, on me les apporte. Ils ont beau se déguiser par l’affiche de l’intérêt le plus vif. Il y a un ton, un air, une curiosité, je ne sais quoi qui se sent mieux qu’il ne se dit. C’est, en morale, ce que vous appelez le tact dans les arts, qui vous éclaire et les rend suspects. Ils s’enquièrent de vos succès, et l’on voit que la réponse qu’on leur fait n’est point du tout celle qu’ils attendent. Ils sont pourtant enchantés, mais leur enchantement a si mauvaise grâce !

Vous m’avez envoyé une copie de notre dispute, sur laquelle on nous accuserait tous de ne savoir ni le latin ni le français. J’ai commencé à vérifier quelques-unes de vos citations et des miennes. Comme je t’en donnerai sur celle de Cicéron qui finit mon dernier papier !

Au reste, tout ce que vous dites des différents jugements que Sa Majesté Impériale, le prince de Galitzin et le philosophe Naigeon ont portés de nos lettres, pour être vrai, à la rigueur, vous en aurez incessamment l’avis de Grimm et le mien. S’il n’y avait que vous, je vous récuserais, car la plupart du temps,