Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seul exemplaire qui soit sorti jusqu’à présent du magasin de l’Hôtel de Ville. Je n’ai point encore vu le sieur Gor. Je me réjouis de ce que vous ayez enfin pris le parti d’appeler le seul homme, en Europe dont l’expérience pût assurer le succès de votre travail. Eh bien, mon ami, vous dites donc comme moi : non omnis moriar. Je vous en fais mon très-sincère compliment. Vous aurez apparemment changé d’avis, à la vue de votre monument, et votre conversion m’en donne la plus haute opinion.

À Paris, ce 21 août 1771.


XXXI


M. le comte de Strogonoff m’a remis la lettre que vous lui aviez donnée pour moi. J’ai peu vu ce seigneur, parce que je suis devenu un peu plus sauvage encore que je ne l’étais ; que j’aime mon atelier de préférence à tout ; qu’il s’est allé placer à l’extrémité de la rue de Richelieu, et que promené sans cesse par son activité, sa civilité, le désir de voir et de s’instruire, je sais qu’on peut se présenter à sa porte, quatre à cinq fois, sans avoir le bonheur de le rencontrer. Cependant deux ou trois entrevues assez courtes m’ont suffi pour sentir qu’il méritait, en effet, tout le bien que vous m’en disiez, et je crois qu’il en aura eu assez pour connaître, de son côté, que j’étais bien votre admirateur et votre ami. Nous avons ici un bon nombre de seigneurs russes qui font honneur à leur nation. L’exemple de la souveraine leur a inspiré le goût des arts, et ils s’en retourneront dans leur patrie chargés de nos précieuses dépouilles. Ah ! mon ami Falconet, combien nous sommes changés ! Nous vendons nos tableaux et nos statues au milieu de la paix ; Catherine les achète au milieu de la guerre. Les sciences, les arts, le goût, la sagesse remontent vers le Nord, et la barbarie avec son cortège descend au Midi. Je viens de consommer une affaire importante : c’est l’acquisition de la collection de Crozat, aug-