Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/372

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dresse ! ne craignez rien, ma Sophie, elle durera, et vous vivrez et vous vivrez heureuse. Je n’ai point encore commis le crime, et je ne commencerai point à le commettre : je suis tout pour vous, vous êtes tout pour moi ; nous supporterons ensemble les peines qu’il plaira au sort de nous envoyer ; vous allégerez les miennes, j’allégerai les vôtres. Puissé-je vous voir toujours telle que vous êtes depuis quelques mois ! pour moi, vous serez forcée de convenir que je suis comme au premier jour : ce n’est pas un mérite que j’aie, c’est une justice que je vous rends. L’effet des qualités réelles, c’est de se faire sentir plus vivement de jour en jour. Reposez-vous de ma constance sur les vôtres et sur le discernement que j’en ai. Jamais passion ne fut plus justifiée par la raison que la mienne. N’est-il pas vrai, ma Sophie, que vous êtes bien aimable ? Regardez au dedans de vous-même ; voyez-vous bien ? voyez combien vous êtes digne d’être aimée, et connaissez combien je vous aime. C’est là qu’est la mesure invariable de mes sentiments.

Bonsoir, ma Sophie, je m’en vais plein de joie, la plus douce et la plus pure qu’un homme puisse ressentir. Je suis aimé, et je le suis de la plus digne des femmes.


VII


Langres, le 27 juillet 1759.


Je vous écrivis à Nogent, où je couchai le premier jour. J’en partis le lendemain entre trois et quatre heures du matin, et, après environ vingt-quatre heures de route continue, je suis arrivé à la porte de la maison paternelle ; j’ai trouvé ma sœur et mon frère en assez bonne santé, mais d’une telle différence de caractère, que j’ai bien de la peine à croire qu’ils puissent jamais se faire une vie douce. L’homme qui les liait et qui les contenait n’est plus. Mon frère avait tout mis en ordre ; ainsi, j’espère que nos affaires s’arrangeront sans délai et sans difficulté. Je suis bien pressé de vous revoir, mon amie ; je sens à tout moment qu’il me manque quelque chose, et quand j’appuie là-dessus, je trouve que c’est vous. J’ai apporté avec moi quel-