Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/404

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ture. Madame fut un peu surprise de la quantité de livres, de hardes et de linge que j’emportais. Elle ne conçoit pas que je puisse durer loin de vous plus de huit jours. J’arrivai une demi-heure avant qu’on se mît à table. J’étais attendu. Nous nous embrassâmes, le Baron et moi, comme s’il n’eût été question de rien entre nous. Depuis nous ne nous sommes pas expliqués davantage. Mme d’Aine[1], Mme d’Holbach, m’ont revu avec le plus grand plaisir, celle-ci surtout ; je crois qu’elle a de l’amitié pour moi. On m’a installé dans un petit appartement séparé, bien tranquille, bien gai et bien chaud. C’est là que, entre Horace et Homère, et le portrait de mon amie, je passe des heures à lire, à méditer, à écrire et à soupirer. C’est mon occupation depuis six heures du matin jusqu’à une heure. À une heure et demie je suis habillé et je descends dans le salon où je trouve tout le monde rassemblé. J’ai quelquefois la visite du Baron ; il en use à merveille avec moi ; s’il me voit occupé, il me salue de la main et s’en va ; s’il me trouve désœuvré, il s’assied et nous causons. La maîtresse de la maison ne rend point de devoirs, et n’en exige aucun : on est chez soi et non chez elle.

Il y a ici une Mme de Saint-Aubin qui a eu autrefois d’assez beaux yeux. C’est la meilleure femme du monde ; nous faisons ordinairement ensemble un trictrac, soit avant, soit après dîner. Elle joue mieux que moi ; elle aime à gagner ; moi, je ne me soucie pas de perdre beaucoup ; elle gagne donc ; je ne perds que le moins que je peux, et nous sommes contents tous les deux. Nous dînons bien et longtemps. La table est servie ici comme à la ville, et peut-être plus somptueusement encore. Il est impossible d’être sobre, et il est impossible de

  1. Femme du maître des requêtes de ce nom, mère de Mme d’Holbach.