Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/41

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réitérées. Il serait aussi insensé de l’en empêcher que de condamner un agriculteur à laisser son terrain en friche, ou un propriétaire de maison à laisser ses appartements vides.

Monsieur, le privilège n’est rien qu’une sauvegarde accordée par le souverain pour la conservation d’un bien dont la défense, dénuée de son autorité expresse, excéderait souvent la valeur. Étendre la notion du privilège de libraire au-delà de ces bornes, c’est se tromper, c’est méditer l’invasion la plus atroce, se jouer des conventions et des propriétés, léser iniquement les gens de lettres ou leurs héritiers ou leurs ayants cause, gratifier par une partialité tyrannique un citoyen aux dépens de son voisin, porter le trouble dans une infinité de familles tranquilles, ruiner ceux qui, sur la validité présumée d’après les règlements, ont accepté des effets de librairie dans des partages de succession, ou les forcer à rappeler à contribution leurs copartageants, justice qu’on ne pourrait leur refuser, puisqu’ils ont reçu ces biens sur l’autorité des lois qui en garantissaient la réalité ; opposer les enfants aux enfants, les père et mère aux père et mère, les créanciers aux cessionnaires, et imposer silence à toute justice.

Si une affaire de cette nature était portée au tribunal commun de la justice, si le libraire n’avait pas un supérieur absolu qui décide comme il lui plaît, quelle issue croyez-vous qu’elle aurait ?

Tandis que je vous écrivais, j’ai appris qu’il y avait sur cet objet un mémoire imprimé d’un de nos plus célèbres jurisconsultes ; c’est M. d’Hericourt. Je l’ai lu, et j’ai eu la satisfaction de voir que j’étais dans les mêmes principes que lui, et que nous en avions tiré l’un et l’autre les mêmes conséquences.

Il n’est pas douteux que le souverain qui peut abroger des lois, lorsque les circonstances les ont rendues nuisibles, ne puisse aussi, par des raisons d’État, refuser la continuation d’un privilège ; mais je ne pense pas qu’il y ait aucun cas imaginable où il ait le droit de la transférer ou de la partager.

C’est la nature du privilège de la librairie méconnue, c’est la limitation de sa durée, c’est le nom même de privilège qui a exposé ce titre à la prévention générale et bien fondée qu’on a contre tout autre exclusif.

S’il était question de réserver à un seul le droit inaliénable