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froid que j’avais remué : Ce n’est pas moi ; c’est elle, c’est elle qui agissait en moi. À huit heures je l’ai quitté. Je suis chez lui[1] ; je l’attends, et en l’attendant je rends compte des moments doux qu’ils vous doivent et que je vous dois : mais le voilà venu. Adieu, ma Sophie, adieu, chère femme ! je brûle du désir de vous revoir, et je suis à peine éloigné de vous. Demain à neuf heures je serai chez le Baron. Ah ! si j’étais à côté de vous, combien je vous aimerais encore ! Je me meurs de passion. Adieu, adieu.


XXI


Au Grandval, 11 octobre 1759.


Je vois, ma tendre amie, que Grimm ne s’est pas acquitté bien exactement de sa commission. Je vous écrivais de chez lui avant-hier au soir ; vous pouviez avoir ma lettre hier de bon matin, savoir qu’à neuf heures je serais chez le Baron, et me dire un petit mot d’adieu.

Nous dînâmes chez Montamy avec la gaieté que je vous ai dit. À six heures j’étais dans l’allée d’Argenson. Je regardai plusieurs fois sur un certain banc, je regardai aussi aux environs ; mais je ne vis ni celle que je désirais, ni celle que je craignais ; et je pensai que le temps incertain et froid vous aurait retenue à la maison, que vous y causiez avec le gros abbé[2], et que peut-être il faisait à votre mère des questions auxquelles vous aviez la bonté de répondre pour elle.

Je vous ai promis le détail de ce qui s’est dit entre d’Alembert et moi ; le voici presque mot pour mot. Il débuta par un exorde assez doux : c’était notre première entrevue depuis la mort de mon père et mon voyage de province. Il me parla de mon frère, de ma sœur, de mes arrangements domestiques, de ma petite fortune et de tout ce qui pouvait m’intéresser et me disposer à l’entendre favorablement ; puis il ajouta (car il en fallait bien venir à un objet auquel j’avais la malignité de me

  1. Chez Grimm.
  2. Le Monnier.