Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dégoûteront. Le libraire peu scrupuleux croit que l’auteur court sur ses brisées. Lui qui jette les hauts cris quand on le contrefait, qui se tiendrait pour malhonnête homme s’il contrefaisait son confrère, se rappelle son état et ses charges que le littérateur ne partage point, et finit par le contrefaire. Les correspondants de province nous pillent impunément ; le commerçant de la capitale n’est pas assez intéressé au débit de notre ouvrage pour le pousser. Si la remise qu’on lui accorde est forte, le profit de l’auteur s’évanouit ; et puis tenir des livres de recette et de dépense, répondre, échanger, recevoir, envoyer, quelles occupations pour un disciple d’Homère ou de Platon !

Aux connaissances de la librairie que je dois à ma propre expérience, j’ai réuni celles que je tiens d’une longue habitude avec les libraires. Je les ai vus. Je les ai écoutés ; et quoique ces commerçants, ainsi que tous les autres, aient aussi leurs petits mystères, ils laissent échapper dans une occasion ce qu’ils retiennent dans une autre ; et vous pouvez attendre de moi, sinon des résultats rigoureux, du moins la sorte de précision qui vous est nécessaire. Il n’est pas question ici de partager un écu en deux.

Un particulier qui prend l’état de libraire, s’il a quelque bien, se hâte de le placer dans l’acquisition de parts en différents livres d’un débit courant.

L’intervalle moyen de l’édition d’un bon livre à une autre peut s’évaluer à dix ans.

Ses premiers fonds ainsi placés, s’il se présente une entreprise qui le séduise, il s’y livre ; alors il est obligé de recourir à un emprunt ou à la vente de la part d’un privilège dont il eût retrouvé, avant qu’on eût presque culbuté cet état, à peu près la première valeur. L’emprunt serait ruineux, il préfère la vente de la part d’un privilège, et il a raison.

Si son entreprise réussit, du produit il remplace l’effet qu’il a sacrifié, et il accroît son premier fonds et du nouvel effet qu’il a acquis et de l’effet remplacé.

Ce fonds est la base de son commerce et de sa fortune, oui, monsieur, la base, c’est un mot qu’il ne faut pas oublier.

S’il échoue dans son entreprise, comme il arrive plusieurs fois contre une, ses avances sont perdues, il a un effet de moins et communément des dettes à acquitter ; mais il se renferme dans