Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand nous y serons ; il faut y aller tôt ou tard..... Il lui dira : J’ai prolongé ta vie afin que tu méritasses la félicité éternelle, et tu me reproches une faveur que je t’ai faite.... Si c’était une faveur, dira le troisième que ne me la faisais-tu donc aussi ? — Voilà trois enfants bien incommodes ; ils ont dû donner bien du chagrin à leurs parents. Mais il faut prendre la charge avec les bénéfices. Allons souper.

— Il y en a qui nient tout rapport du Créateur à la créature. Selon eux, Dieu est juste parce qu’il est tout-puissant. Ses attributs n’ont rien de commun avec les nôtres ; et nous ne savons pas par quels principes nous serons jugés à son tribunal. — Maman, tant mieux pour votre amie Mme de ***. — N’en parlons pas. Laissons notre prochain pour ce qu’il est. La fille est noire comme une taupe ; mais mon fils dit qu’elle a les pieds blancs. Blancs ou noirs, qu’est-ce que cela me fait ? Pour la mère, elle eût été mieux avisée de garder ses yeux qu’elle avait beaux et bons, et de laisser assommer son mari ; mais ce qui est fait est fait. — Ils disent : Qu’est-ce qu’un être passager d’un instant, d’un point, devant un être éternel, infini ? Que deviendraient les autres hommes pour un de leurs semblables à qui Dieu aurait accordé seulement une durée éternelle ? Croit-on qu’il eût le moindre scrupule de s’immoler tout ce qui lui résisterait ? Ne dirait-il pas à ses victimes : Qu’êtes-vous en comparaison de moi ? Dans un moment il ne sera non plus question de vous que si vous n’aviez point été, vous ne jouirez ni ne souffrirez plus ; mais il s’agit d’une éternité pour moi. Je me dis à moi-même et à vous, selon ce que je suis et ce que vous êtes, périssez donc sans murmurer ; je suis juste..... — Il est incroyable tout ce qui leur croît dans la tête. En vérité, il y a de quoi déranger la mienne. — Cependant quelle distance plus grande encore de Dieu à un homme, que d’un homme, quel qu’on le suppose, à un autre ! Qu’il soit immortel, cet homme, je le veux ; combien ne lui restera-t-il pas encore d’infirmités qui le rapprocheront de la condition commune ? Toute notion de justice s’anéantit entre un homme et son semblable par le privilège d’un seul attribut divin, et nous osons en supposer entre Dieu et l’homme ! Il n’y a que le brachmane, qui craignit de blesser la fourmi, qui puisse dire à Dieu : Seigneur, pardonnez-moi si j’ai fait remonter mes idées jusqu’à