Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/479

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ger des indifférents, et qu’ils attendraient inutilement de la grosse et ronde bienveillance de gens épais qui en sont incapables… Il faut que vous sachiez toutes deux que je vous rapproche sans cesse de l’idée que je me suis formée de votre esprit et de votre caractère, et que cette mesure n’est pas commune. La plupart des autres s’y trouveraient bien petits. Ces riens, que je ne ferai pas l’honneur à la foule de remarquer en elle, je vous les reprocherai durement, et je serais fâché que vous n’eussiez pas pour moi la même sévérité. Je veux que vous attendiez de moi tout ce que vous attendriez de Dieu, s’il avait ma bonté ou si j’avais sa puissance, et que vous soyez surprise toutes les fois que je tromperai votre attente. Si je suis quelquefois amant ombrageux et difficile, c’est que je meurs de passion pour vous ; si je me fâche si vite contre elle, c’est que personne au monde ne l’estime plus que moi. Ô femmes ! vous me serez bien indifférentes le jour que je vous laisserai dire et faire tout ce qu’il vous plaira ! J’aime ceux qui me grondent, et je gronde volontiers ceux que j’aime ; et, quand je ne gronde plus, je n’aime plus. De tous ceux qui me touchent de près, je suis celui que je gourmande le plus sévèrement et le plus fréquemment ; si je me préfère en ce point à mes amis, c’est, tout bien considéré, que je suis encore plus curieux de me rendre bon moi-même que de rendre les autres meilleurs.

Je suis bien aise pourtant que vous ne la reconnaissiez pas aux couleurs dont je l’ai peinte. Vous voyez que je vous réponds à présent à votre seconde lettre. C’est apparemment que, la colère conduisant le pinceau, les traits auront été exagérés. Cela me rappelle un mot plaisant du peintre Greuze contre Mme Geoffrin qui l’avait bien ou mal à propos contristé. « Mort-Dieu, disait-il, si elle me fâche, qu’elle y prenne garde, je la peindrai. » Moi, je dis le contraire de Greuze : Mort-Dieu, si elle me fâche encore, qu’elle y prenne garde, je ne la peindrai plus. Dites tout ce qui vous plaira de l’innocence de sa conduite avec le bon Marson et l’honnête Vialet. J’en appelle à son cœur, qui sait mieux que vous pourquoi je me comprends dans sa déclamation : c’est qu’elle s’adresse à tous les hommes, et que j’en suis un ; et, si vous voulez en convenir, pendant que vous la lisiez, vous ne distinguiez personne ; il a fallu que la réflexion et la justice vous ramenassent sur vos pas, que vous