Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/48

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que ce soit ; certainement encore je loue le ministère d’en user avec les descendants du grand Corneille comme il en a usé avec les descendantes de l’inimitable La Fontaine ; mais que ce soit, s’il se peut, sans spolier personne et sans nuire au bien général. Des souscriptions dont on devrait si rarement gratifier le régnicole, accordées à l’étranger ! et quand encore et contre qui ? Je ne saurais m’en taire… L’on ne spoliera personne, si l’on fait une bonne pension à Mlle  Corneille, et si l’État achète des propriétaires les champs et les maisons de M. La Fontaine pour y loger celles qui sont encore illustrées de son nom ; et l’on veillera au bien général en fermant la porte à l’édition genevoise et laissant aux propriétaires des œuvres de Corneille le soin de nous procurer les notes de M. de Voltaire. Et pourquoi, monsieur, ces souscriptions si suspectes sont-elles devenues si communes ? C’est que le libraire est pauvre, ses avances considérables et son entreprise hasardeuse. Il propose une remise pour s’assurer quelque argent comptant et échapper à sa ruine.

Mais quand il serait assez riche pour tenter et achever une grande entreprise sans la ressource de ses entrées journalières, croit-on qu’il en hasarde jamais de quelque importance ? S’il échoue, son privilège ou la propriété d’un mauvais effet lui restera ; s’il a du succès, elle lui échappe au bout de six ans. Quel rapport y a-t-il, s’il vous plaît, entre son espérance et ses risques ? voulez-vous connaître précisément la valeur de sa chance ? Elle est comme le nombre de livres qui durent, au nombre de livres qui tombent, on ne peut ni la diminuer ni l’accroître ; c’est un jeu de hasard, si l’on en excepte les cas où la réputation de l’auteur, la singularité de la matière, la hardiesse ou la nouveauté, la prévention, la curiosité, assurent au commerçant au moins le retour de sa mise.

Une bévue que je vois commettre sans cesse à ceux qui se laissent mener par des maximes générales, c’est d’appliquer les principes d’une manufacture d’étoffe à l’édition d’un livre. Ils raisonnent comme si le libraire pouvait ne fabriquer qu’à proportion de son débit et qu’il n’eût de risques à courir que la bizarrerie du goût et le caprice de la mode ; ils oublient ou ignorent ce qui pourrait bien être au moins, qu’il serait impossible de débiter un ouvrage à un prix raisonnable sans le tirer à un certain nombre. Ce qui reste d’une étoffe surannée dans les ma-