Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/484

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lui faire changer d’avis[1]. Imaginez ce que deviennent sa femme, sa fille, qui sont présentes. Ô Voltaire ! vous qui savez à présent l’effet de ces tableaux, vous n’auriez garde de vous refuser à celui-là.

Mais à propos de Grimm, ne serez-vous pas un peu surprise que je vous aie déjà écrit sept à huit pages, sans presque vous en dire un mot ? C’est, mon amie, qu’il arrange si bien ses voyages, qu’il sort de la Chevrette au moment que j’y arrive. En vérité, quand il aurait le dessein de me rendre amoureux de sa maîtresse, il ne s’y prendrait pas autrement. Vous concevez bien que je plaisante : il est trop honnête pour avoir cette vue, et je le suis trop, moi, pour qu’elle lui réussît quand il l’aurait. Et puis, il est si enfoncé dans la négociation et les mémoires, qu’on ne lui voit pas le bout du nez. Il ne lui reste presque pas un instant pour l’amitié ; et je ne sais quand l’amour trouve le sien. Nous nous sommes un peu promenés, elle et moi, ce matin. Je lui avais trouvé l’air soucieux hier au soir. Je lui en ai demandé le sujet. « C’était une de ces minuties auxquelles, lui disais-je, vous êtes trop heureux tous les deux d’être sensibles au bout de quatre ans. Vous vous examinez donc de bien près ? Vous en êtes donc comme au premier jour ? Eh ! mes amis, tâchez de n’épouser jamais. » L’après-dîner, nous nous sommes encore promenés, lui et elle, Mme d’Houdetot et moi. J’oubliais de vous dire que j’avais trouvé mon vin blanc fort bon, que j’en avais usé peu sobrement, et que ma voisine était fort gaie. Mme d’Houdetot fait de très-jolis vers ; elle m’en a récité quelques-uns qui m’ont fait grand plaisir. Il y a tout plein de simplicité et de délicatesse. Je n’ai osé les lui demander ; mais si je puis lui arracher un hymne aux tétons qui pétille de feu, de chaleur, d’images et de volupté, je vous l’enverrai[2]. Quoiqu’elle ait eu le courage de me le montrer, je n’ai pas eu celui de le demander. Le soir nous avons laissé rentrer les femmes, et nous avons fait le tour du parc, Grimm et moi. Il y avait longtemps que nous ne nous étions vus ; nous avons été fort aises de nous retrouver. Je l’aime sûrement, et j’en suis, je crois,

  1. C’est le sujet du Siège de Calais. Le succès de la pièce de ce titre, donnée par Belloy le 13 février 1765, aura fait renoncer Saurin à son projet. (T.)
  2. Cette pièce est restée inédite.