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XLIII


Le 8 octobre 1760.


Je pars demain pour aller au Grandval passer le reste de l’automne. Je ne saurais vous dire, chère amie, combien il m’en coûte pour m’arracher d’ici. Si cette force que les philosophes appellent d’inertie est commune à tous les êtres, j’en ai ma bonne part. Comment vos lettres me parviendront-elles ? Comment recevrez-vous les miennes ? Quel circuit ! Je me rendais ici les mardi, jeudi, dimanche au soir ; je vous lisais et je vous répondais sur-le-champ : cela était assez commode : mais il n’y a pas moyen de rester. J’aurais l’air d’abandonner Mme d’Aine, qui m’a si bien accueilli les vacances passées. Je ne suis bien avec moi-même que quand je fais ce que je dois. J’irai donc demain, jour de ma fête, où l’on ne m’attend peut-être plus et où l’on médit de moi. Vous savez que j’ai quelque affaire à l’Hôtel des Fermes ; j’y ai été appelé ce matin ; et par occasion je me suis rendu rue des Vieux-Augustins. J’ai demandé Mlle Boileau ; elle venait de partir pour Argenteuil avec M. Berger. J’ai laissé chez le portier un billet pour elle. On m’a dit que Mme de Solignac était arrivée ; je ne l’ai point vue, mais je me suis fait écrire pour monsieur qui était absent. Le portier, à qui j’ai demandé si M. de Villeneuve y était, m’a répondu que oui, et même seul. J’ai été tenté de monter ; et puis je me suis dit : Pourquoi monter ? et, ne sachant que me répondre, je m’en suis allé. Vous savez apparemment qu’il déloge le 15 de ce mois et qu’il va demeurer rue Sainte-Anne. C’est le portier qui m’a bavardé cela. Vous m’avez fait faire connaissance plus intime que jamais avec M. Damilaville. J’ai soupé plusieurs fois avec lui ; c’est un homme de bien. Hier, comme je m’en revenais de chez lui à minuit, par le plus affreux temps du monde, d’abord j’ai vu, rue des Boucheries, des amants qui se disaient des douceurs de fort près, au coin d’une porte, à minuit, le ciel fondant en eau ; cela m’a fort édifié ! Arrivé à ma porte, Jeanneton appelée, en attendant qu’elle descendît, mon fiacre m’a dit qu’un