Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/52

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librairie, et comme ce projet, ajoutent-ils, est d’une atrocité si révoltante qu’on n’ose le consommer tout d’un coup, on cherche de loin à y accoutumer peu à peu le commerçant et le public par des démarches colorées du sentiment le plus noble et le plus généreux, celui d’honorer la mémoire de nos auteurs illustres dans leur postérité malheureuse. « Regardez, continuent-ils, car ce sont toujours eux qui parlent, comment à côté de ce prétexte honnête, on place les raisons d’autorité et d’autres qu’on saura bien faire valoir toutes seules, lorsqu’on croira n’avoir plus de ménagements à garder. » Ces idées sinistres ne prendront jamais auprès de ceux qui connaissent comme moi la justice, le désintéressement, la noblesse d’âme de nos supérieurs, et qui portent à leurs fonctions et à leur caractère tout le respect qui leur est dû. Mais, monsieur, qui nous répondra de leurs successeurs ? S’ils trouvent toutes les choses préparées de loin à une invasion, quelle sûreté pouvons-nous avoir qu’ils ne s’y détermineront pas ? À votre avis, monsieur, le commerçant, tranquille sur le moment présent, serait-il bien déraisonnable d’avoir quelque inquiétude pour l’avenir ?

D’autres ont imaginé que le plan était, à l’expiration successive des privilèges, de mettre pour condition à leur renouvellement la réimpression de certains ouvrages importants qui manquent et qui manqueront encore longtemps, des avances considérables que le commerçant n’est pas en état de faire, et la lenteur des rentrées, qu’il n’est guère en état d’attendre, le détournant de ces entreprises. Cette espèce d’imposition est de la nature de celles qu’il plaît au souverain d’asseoir sur tous les autres biens de ses sujets dans les besoins urgents de l’État ; je n’oserais la blâmer, et il y en a déjà quelques exemples ; mais elle ne peut jamais autoriser à la translation des propriétés. Si elle pouvait servir de prétexte un jour à cette iniquité, un magistrat prudent y renoncerait ; mais une attention nécessaire, c’est d’alléger cette tâche le plus qu’il est possible et de la proportionner avec scrupule à la valeur du privilège qu’on renouvelle ; et puis vous verrez qu’elle deviendra tôt ou tard le germe des vexations les plus inouïes. J’aimerais bien mieux qu’elle tombât sur des concessions de pure faveur, telles, par exemple, que les permissions tacites, les contrefaçons faites de l’étranger et autres objets de cette espèce.