Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/522

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y revenir. On me donnerait l’immortalité bienheureuse pour un seul jour de purgatoire que je n’en voudrais pas : le mieux est de n’être plus. »

Cela me fit rêver, et il me sembla que tant que je serais en santé, je penserais comme le père Hoop ; mais qu’au dernier instant peut-être achèterais-je le bonheur d’exister encore une fois de mille ans, de dix mille ans d’enfer. Ah ! chère amie, nous nous retrouverions ! je vous aimerais encore ! je me persuaderais ce qu’une fille réussit à persuader à son père qui se mourait. C’était un vieil usurier ; un prêtre lui avait juré qu’il serait damné, s’il ne restituait. Il y était résolu, et ayant fait appeler sa fille, il lui dit : « Mon enfant, tu as cru que je te laisserais fort riche, et tu l’aurais été en effet ; mais voilà un homme qui va te ruiner ; il prétend que je brûlerai dans l’enfer à jamais, si je meurs sans restituer. — Vous vous moquez, mon père, lui répliqua la fille, avec votre restitution et votre damnation ; du caractère dont je vous connais, vous n’aurez pas été damné dix ans que vous y serez fait. »

Cela lui parut vrai, et il mourut sans restituer. Une fille se résoudra à damner son père, un père à l’être pour enrichir sa fille ; et un amant passionné, un honnête homme s’en effraiera. N’est-il pas bien doux d’être, et de retrouver son père, sa mère, son amie, son ami, sa femme, ses enfants, tout ce que nous avons chéri, même en enfer !

Et puis nous voilà discourant de la vie, de la mort, du monde et de son auteur prétendu.

Quelqu’un remarqua qu’il y ait un Dieu ou qu’il n’y en ait point, il était impossible d’introduire cette machine soit dans la nature, soit dans une question, sans l’obscurcir.

Une autre, que si une supposition expliquait tous les phénomènes, il ne s’ensuivrait pas qu’elle fût vraie : car qui sait si l’ordre général n’a qu’une raison ? Que faut-il donc penser d’une supposition qui, loin de résoudre la seule difficulté pour laquelle on l’imagine, en fait éclore une infinité d’autres ?

Chère amie, je pense que notre babil de dessous la cheminée vous amuse toujours, et je le suis.

Parmi ces difficultés il y en a une qu’on a proposée depuis que le monde est monde : c’est que les hommes souffrent sans l’avoir mérité. On n’y a pas encore répondu. C’est l’incompatibi-