Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/528

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serait fait de nous ? Si les cerfs pensaient, le grand événement pour les cerfs de la forêt de Fontainebleau que la mort de Louis XV ! qu’en diraient-ils ?

Et les poissons de nos fossés à qui nous nous amusons à jeter du pain après le dîner, que pensent-ils de cette manne qui leur tombe du ciel en automne ? N’y a-t-il pas là quelque Moïse écaillé qui se fait honneur de notre bienfaisance ?

Quoiqu’il en soit, il me prend envie de vous réconcilier un peu avec les guerres, les pestes et les autres fléaux de l’espèce humaine. Savez-vous que si tous les empires étaient aussi bien gouvernés que la Chine, le pays le plus fécond de la terre, il y aurait trois fois plus d’hommes qu’ils n’en pourraient nourrir ? Il faut que tout ce qui est soit, bien ou mal.

La description de la Russie est commune ; on y étale par-ci par-là des prétentions à la connaissance de l’histoire naturelle.

Quant à l’Histoire du czar, on la lit avec plaisir ; mais si l’on se demandait à la fin : Quel grand tableau ai-je vu ? Quelle réflexion profonde me reste-t-il ? on ne saurait que se répondre.

L’écrivain de la France ne s’est peut-être pas élevé au niveau du législateur de la Russie. Cependant, si toutes les gazettes étaient faites comme cela, je n’en voudrais perdre aucune.

Il y a un très-beau chapitre des cruautés de la princesse Sophie. On ne voit pas sans émotion le jeune Pierre âgé de douze à treize ans, tenant une vierge entre ses mains, conduit par ses sœurs en pleurs à une multitude de soldats féroces qui le demandent à grands cris pour l’égorger, et qui viennent de couper la tête, les pieds et les mains à son frère. Cela me rappelle certains morceaux de Tacite, tels que la consternation de Rome lorsque l’on y apprit la mort de Germanicus, et la douleur du peuple lorsqu’on y apporta les cendres de ce prince.

Il y a dans la description du pays un endroit sur les mœurs des Samoïèdes qui est très-bien. Mais pourquoi cette pente à déprimer les ouvrages estimés ? On y prend à tâche en deux endroits de déprimer l’Histoire naturelle de M. de Buffon. On y relève des minuties de géographie, et la critique est assaisonnée d’éloges ironiques.

Damilaville a trouvé tout fort beau ; je lui en ai lavé la tête ; mais j’ai tempéré l’amertume de ma leçon, en lui disant avec