Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/533

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Chère amie, je vous prie de demander à Mme Le Gendre, à présent que M. Marson est mort, si elle ne serait pas plus contente d’elle-même de l’avoir rendu heureux seulement une fois ; mais donnez-lui le jour entier pour répondre à ma question, et ne lui dites pas qu’elle est de moi ; faites-la-lui comme de vous. Sa réponse m’apprendra jusqu’où un homme sensible peut se mettre à la place d’une honnête femme. Il s’en serait allé son débiteur, et elle reste sa créancière. Vous seriez bien étonnée qu’elle ne l’eût refusé quelquefois que par la crainte qu’il ne vécût trop longtemps. Si un homme était destiné à expirer entre les bras d’une femme, mais expirer tout à fait, et que le moment du plus grand plaisir de la vie en fût aussi le dernier moment, c’est aux indifférents, aux ennuyeux, aux odieux qu’on réserverait ses faveurs.

L’abbé de Voisenon se défend tant qu’il peut de la petite ordure[1] ; mais elle demeurera sur son compte, jusqu’à ce qu’un autre se soit montré. En tout, c’est presque toujours le défaut de succès qui fait la honte. Les gens de cœur n’ont du remords que d’avoir manqué leur coup.

Les Facéties sont un recueil des impertinences de l’année 1760[2], que M. de Voltaire a fait imprimer à Genève et qu’il a grossi de quelques autres. La Vision y est, mais on a supprimé les deux versets de Mme de Robecq[3]. Voilà, ou je me trompe fort, la raison pour laquelle l’édition a été faite ; peut-être aussi l’envie d’expier un peu sa honte du commerce épistolaire avec Palissot y est entrée pour quelque chose. Il a apostille les lettres de Palissot de petites notes très-cruelles. Il y a six mois qu’on s’étouffait à la comédie des Philosophes ; qu’est-elle devenue ? Elle est au fond de l’abîme qui reste ouvert aux productions sans mœurs et sans génie, et l’ignominie est restée à l’auteur. Que le mot du philosophe athénien est beau ! Il disait à ceux

  1. Tant mieux pour elle, conte plaisant. À Villeneuve, 1760, in-12. Attribuée plusieurs fois à Calonne, cette « petite ordure » n’en a pas moins été réimprimée au tome IV des Œuvres complètes de Voisenon. Paris, 1781, 5 vol. in-8.
  2. Voir précédemment la note de la page 452.
  3. La Vision de Charles Palissot, 176, in-12, réimprimée dans le Recueil des facéties, après suppression d’un paragraphe où la princesse de Robecq, maîtresse de Choiseul, s’était vue désignée et qui avait valu à Morellet deux mois de détention à la Bastille.