Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/545

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enfant d’une fille. Il a fait élever cet enfant en Chine, où il l’a envoyé dès l’âge de cinq ans. Il n’a pas dix-huit ans ; il est presque aussi savant qu’un mandarin. Il sait plus de trente mille mots. Il est en chemin pour Paris. C’est une curiosité que j’attends.

Ô chère amie ! qu’il y a peu de monde à qui il soit permis de jouer ! Je ne veux pas vous écrire cela, et si j’oublie de vous en parler, tant mieux.

Je ne reçois jamais une de vos lettres sans un petit billet tout à fait obligeant de M. Damilaville. Voici comme se passe mon temps :

À huit heures, jour ou non, je me lève.

Je prends mes deux tasses de thé.

Beau ou laid, j’ouvre ma fenêtre et je prends l’air.

Je me renferme et je lis.

Je lis un poëme italien burlesque, qui me fait alternativement pleurer de douleur et de plaisir ; et puis, cela est écrit partout avec une facilité, une douceur, une délicatesse ! et des préambules à tourner la tête.

Il me prend quelquefois des envies de vous en traduire des morceaux, mais il n’y a pas moyen ; toutes ces fleurs délicates-là se fanent entre mes mains. Ces auteurs qui charment si puissamment nos ennuis, qui nous ravissent à nous-mêmes, à qui Nature a mis en main une baguette magique dont ils ne nous touchent pas plus tôt que nous oublions les maux de la vie, que les ténèbres sortent de notre âme, et que nous sommes réconciliés avec l’existence, sont à placer entre les bienfaiteurs du genre humain.

Nous dînons, après avoir un peu causé vers le feu.

Nous dînons toujours longtemps.

Après dîner, c’est la promenade, ou le billard, ou les échecs.

Le Baron ne veut pas que l’Écossais joue aux échecs, et il a raison.

Puis un peu de causerie et de lecture.

Le piquet, le souper, le radotage au bougeoir, et le coucher.

Que regretter au milieu de cela ? Rien, si ce n’est ma Sophie.

Paris est oublié, mais en revanche Isle et les vordes ne le sont pas. C’est toujours là que je me retrouve à la fin de mes