Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/59

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légitime des possessions ; et le roi qui ne la refuse pas au moindre de ses sujets quand elle ne préjudicie à personne, la limitera à un certain intervalle de temps, à l’expiration duquel un ouvrage qui aura consumé son bien, sa santé, sa vie et qui sera compté au nombre des monuments de la nation, s’échappera de son héritage, de ses propres mains, pour devenir un effet commun ? Et qui est-ce qui voudra languir dans l’indigence pendant les années les plus belles de sa vie et pâlir sur des livres à cette condition ? Quittons le cabinet, mes amis, brisons la plume et prenons les instruments des arts mécaniques, si le génie est sans honneur et sans liberté.

L’injustice se joint ici à une telle absurdité que si je ne m’adressais à un homme qu’on obsède, qui ne doute point des projets qu’on a, à qui les sollicitations sont portées de la ville et de la province, je cesserais de traiter cette matière. Les autres croiront certainement que je me fais des fantômes pour le plaisir de les combattre.

Mais, direz-vous, lorsque vous avez aliéné votre ouvrage, que vous importe que le ministère prenne connaissance de vos intérêts négligés et vous venge d’un mauvais traité où l’adresse et l’avidité du commerçant vous ont surpris ?… Si j’ai fait un mauvais traité, c’est mon affaire. Je n’ai point été contraint ; j’ai subi le sort commun, et si ma condition est mauvaise, espérez-vous la rendre meilleure en me privant du droit d’aliéner et en anéantissant l’acte de ma cession entre les mains de mon acquéreur ? Avez-vous prétendu que cet homme compterait la propriété pour rien ? Et s’il y ajoute quelque valeur, ne diminuera-t-il pas mes honoraires en raison de cette valeur ? Je ne sais à qui vous en voulez. Parlez de votre amour prétendu pour les lettres tant qu’il vous plaira, mais c’est sur elles que vous allez frapper.

Vous avez rappelé dans votre sein, par la douceur de votre administration, par vos récompenses, par des honneurs, par toutes les voies imaginables, les lettres que l’intolérance et la persécution avaient égarées ; craignez de les égarer une seconde fois. Votre ennemi fait des vœux pour que l’esprit de vertige s’empare de vous, que vous preniez une verge de fer et que vos imprudences multipliées lui envoient un petit nombre de lettrés qu’il vous envie. Ils iront, c’est moi qui vous en