Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/61

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1o L’imprimerie et la librairie ne sont pas de ces états de nécessité première auxquels on ne peut appliquer trop d’hommes. Si quatre cents libraires suffisent en France, il serait mal d’y en entretenir huit cents aux dépens d’un moindre nombre. Louis XIV a tenu pendant vingt ans la porte de cette communauté fermée. Il fixa le nombre des imprimeurs. Le monarque régnant, d’après les mêmes vues, a interrompu les apprentissages pendant trente autres années. Quelle raison a-t-on d’abandonner cette police ? Qu’on laisse les choses dans l’état où elles sont et qu’on n’aille pas dépouiller ceux qui ont placé leurs fonds dans ce commerce en leur donnant des associés, ou qu’en abolissant toutes les corporations à la fois, il soit libre à chacun d’appliquer ses talents et son industrie comme il y sera poussé par la nature et par l’intérêt ; qu’on s’en rapporte aux seuls besoins de la société, qui saura bien, sans que personne s’en mêle, dans quelque profession que ce soit, suppléer les bras nécessaires ou retrancher les superflus ; j’y consens, cela me convient à moi et à tous ceux à qui la moindre étincelle de la lumière présente est parvenue. Mais malheureusement il y a bien des conditions préliminaires à cet établissement ; j’aurai, si je ne me trompe, occasion d’en dire un mot à l’occasion de cette foule d’intrus qu’on protège sans réfléchir à ce qu’on fait.

2o Mais parce qu’un libraire aurait perçu, je ne dis pas un lucre honnête, mais un profit énorme d’une entreprise, serait-ce une raison pour l’en dépouiller ? Cela fait rire. C’est précisément comme si un citoyen qui n’aurait point de maison sollicitait celle de son voisin que cette propriété aurait suffisamment enrichi.

3o Pour évaluer les avantages d’un commerçant sur une entreprise qui lui succède, ne faut-il pas mettre en compte les pertes qu’il a faites sur dix autres qui ont manqué ? Mais comment connaître ces deux termes qu’il faut compenser l’un par l’autre ? C’est, monsieur, par la fortune des particuliers. Voilà la seule donnée, et elle suffit. Or, je le dis, je le répète, et aucun d’eux ne m’en dédira, quelque contraire que cela soit à leur crédit : la communauté des libraires est une des plus misérables et des plus décriées, ce sont presque tous des gueux. Qu’on m’en cite une douzaine sur trois cent soixante qui aient deux habits, et je me charge de démontrer qu’il y en a quatre