Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/79

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possible que la petite commodité que les particuliers en reçoivent ferme les yeux au magistrat sur le mal qu’ils font ? Je demande ce que deviendrait notre librairie, si la communauté de ce nom, réduite aux abois, venait tout d’un coup à se dissoudre et que tout ce commerce tombât entre les mains de ces misérables agents de l’étranger ; qu’en pourrions-nous espérer ? À présent que par toutes sortes de moyens illicites ils sont devenus presque aussi aisés qu’ils le seront jamais, qu’on les assemble tous et qu’on leur propose la réimpression de quelques-uns de ces grands corps qui nous manquent, et l’on verra à qui l’on doit la préférence, ou à ceux qui ont acquis par leur éducation, leur application et leur expérience, la connaissance des livres anciens, rares et précieux, à qui les hommes éclairés s’adressent toujours, soit qu’il s’agisse d’acquérir ou de vendre, dont les magasins sont les dépôts de toute bonne littérature et qui en maintiennent la durée par leurs travaux ; ou cette troupe de gueux ignorants qui n’ont rien que des ordures, qui ne savent rien et dont toute l’industrie consiste à dépouiller de légitimes commerçants et à les conduire insensiblement, par la suppression de leurs rentrées journalières, à la malheureuse impossibilité de nous rendre des services que nous ne pouvons certainement attendre d’ailleurs. Où est l’équité de créer un état, de l’accabler de charges et d’en abandonner le bénéfice à ceux qui ne les partagent pas ? C’est une inadvertance et une supercherie indigne d’un gouvernement qui a quelque sagesse ou quelque dignité.

Mais, dira-t-on, que la communauté ne les reçoit-elle ? Plusieurs se sont présentés. J’en conviens ; mais je ne vois pas qu’on puisse blâmer la délicatesse d’un corps qui tient un rang honnête dans la société, d’en rejeter ses valets. La plupart des colporteurs ont commencé par être les valets des libraires. Ils ne sont connus de leurs maîtres que par des entreprises faites sur leur commerce, au mépris de la loi. Leur éducation et leurs mœurs sont suspectes, ou, pour parler plus exactement, leurs mœurs ne le sont pas. On aurait peine à en citer un seul en état de satisfaire au moindre point des règlements ; ils ne savent ni lire ni écrire. Étienne, célèbres imprimeurs d’autrefois, que diriez-vous s’il vous était accordé de revenir parmi nous, que vous jetassiez les yeux sur le corps des libraires et que vous vissiez les