Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XX.djvu/22

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hommes de lettres font moins de cas de leur caractère moral que de leur talent littéraire. Cette réfutation nuira beaucoup à M. l’abbé Morellet, qui ne doit s’attendre ni à l’indulgence du public, ni à celle de ses amis ; et c’est ce que je me ferais un devoir de lui dire, si je pouvais m’en expliquer avec lui sans manquer à la confiance dont vous m’honorez. Je lui communiquerais aussi quelques endroits des lettres de l’abbé Galiani dont il n’aurait rien de mieux à faire que de justifier la bonne opinion. Voici, monsieur, comment le charmant Napolitain en parle dans la dernière que j’ai reçue : « Le cher abbé Morellet raisonne comme sa tête le mène ; mais il agit par principes ; ce qui fait que je l’aime de tout mon cœur, bien que ma tête n’aille pas comme la sienne, et que lui, de son côté, m’aime à la folie, bien qu’il me croie machiavellino. Au reste, son âme, qui est bonne, entraînera sa tête ; il finira par ne pas me répondre, et par m’aimer davantage. » D’où vous conclurez que le petit machiavéliste italien s’entend un peu mieux en procédés que le philosophe français ; mais, toute réflexion faite, je me persuade que l’abbé Morellet ne publiera pas ses guenillons recousus. Quoi qu’il en soit, comme censeur, je n’y vois rien qui doive en empêcher l’impression, sans même en excepter quelques paragraphes dont un examinateur précédent paraît s’être effarouché. Les économistes de profession sont bien d’une autre hardiesse, et la liberté, jointe au courage qu’ils ont de tout dire, est, à mon sens, un des principaux avantages de leur école. Je suis avec respect, etc.


L


AU MÊME.
Juin 1770.

Monsieur, j’ai fait ce que vous m’avez ordonné ; mais, pour remplir votre objet, il a fallu me montrer un peu, et exposer ce que j’avais ouï dire de la pièce[1] afin d’en faire parler les autres.

  1. Comédie de Palissot, en trois actes et en vers, et dont le premier titre est le Satirique. L’auteur avait composé cette pièce dans le plus grand secret ; il avait même fait répandre que c’était une satire violente contre lui. Le maréchal de Richelieu protégeait l’auteur ; cependant le secret transpira, et le jour même où l’ouvrage devait être représenté, un ordre de M. de Sartine le fit supprimer. (Br.)