Aller au contenu

Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XX.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est encore à l’A, B, C du métier. Le sien est sans verve, sans génie, sans intérêt. Son Oronte est plat ; ce n’est qu’une mince copie de l’Orgon de Molière dans le Tartuffe. Son Dorante aurait de belles et bonnes choses à dire qui le caractériseraient ; mais l’auteur ne pouvait les trouver ni dans son cœur, ni dans son esprit : et ce personnage, prétendu philosophe, n’est pas même de l’étoffe d’un homme du monde. Le Satirique, faible contre-partie du Méchant de Gresset, n’en a ni la grâce ni la légèreté. Julie est une fille mal élevée qui conspire avec sa soubrette, bassement, et contre toute délicatesse d’une personne de son état, pour attirer le satirique dans un piège. Le satirique, qui se fie à ces deux femmes, est un sot. Dorante, qui souffre patiemment devant lui un coquin, qui a composé et mis sur son compte un libelle contre un tuteur honnête dont il aime la pupille, est un lâche. Cela est sans mouvement et sans chaleur, et tous ces personnages ne semblent agir que pour prouver que toute idée d’honnêteté est étrangère à l’auteur. Aussi suis-je persuadé qu’il y a tout à perdre pour lui, et qu’il ne lui restera que l’ignominie d’avoir fait des tirades contre des gens de bien ; ce qui ne sera pas compensé par le très-mince et très passager succès d’une très-médiocre pièce. Je plains cet homme de déchirer ceux dont les conseils lui apprenaient peut-être à tirer un meilleur parti de son talent. Il ne tardera pas à dire, comme M. P…, qu’il n’est pas trop sûr d’être bien aise d’avoir fait cette pièce. Du moins, faudrait-il que sa satire fût gaie ; mais elle est triste, et l’auteur ne sait pas le secret de nuire avec succès.

Il ne m’appartient pas, monsieur, de vous donner des conseils ; mais, si vous pouvez faire en sorte qu’il ne soit pas dit qu’on ait deux fois, avec votre permission, insulté en public ceux de vos concitoyens qu’on honore dans toutes les parties de l’Europe, dont les ouvrages sont dévorés de près et au loin, que les étrangers révèrent, appellent et récompensent, qu’on citera, et qui concourront à la gloire du nom français quand vous ne serez plus, ni eux non plus ; que les voyageurs se font un devoir de visiter à présent qu’ils sont, et qu’ils se font honneur d’avoir connus lorsqu’ils sont de retour dans leur patrie, je crois, monsieur, que vous ferez sagement. Il ne faut pas que des polissons fassent une tache à la plus belle magistrature,