vous fermez la porte et l’empêchez de rentrer jamais. Je parle, vous le voyez, comme si j’étais réellement près de vous, juste comme j’avais l’habitude de le faire, tandis que vous vous teniez debout, le coude appuyé sur le chambranle de la cheminée, et examinant ma physionomie pour découvrir si j’étais sincère ou à quel point je l’étais. Si alors vous pouviez lire tout le respect, tout le dévouement, toute l’estime que vous m’inspiriez, vous n’avez rien de plus à chercher ; rien n’est changé, madame ; les mêmes sentiments continuent d’être aisés à lire, et jamais ils ne seront effacés.
Je suis, etc.
P.-S. Je vous envoie en même temps que cette lettre un
petit catalogue des principaux échantillons que je désire
obtenir ; si M. de Demidoff était tenté d’étendre jusque-là sa
générosité, il n’y aurait pas lieu à la contenir. À propos, madame,
vous écriviez des vers ; je puis en écrire aussi ; mais les vôtres
sont toujours délicieux, les miens ne le sont que quelquefois.
Vous pouvez les adapter à votre voix, et votre musique vocale
est toujours tendre, variée, touchante, j’oserai même dire
voluptueuse. Pour ma part, je puis sentir tout ce mérite, mais je ne
le possède pas. Combien vous êtes heureuse, princesse, d’être
née musicienne ! La musique est le plus puissant de tous les
beaux-arts. Son influence, comme celle de l’amour, s’augmente
par le plaisir qu’elle donne, et peut-être plus encore par les
consolations qu’elle procure. Une certaine Mme de Borosdin, qui
chante avec beaucoup de goût et une très-jolie voix, m’a promis
quelques airs nationaux ; mais je crains qu’elle ne soit trop
évaporée, trop admirée, trop éprise peut-être d’admiration, trop
indolente par le fait pour songer à tenir sa parole. Je ne dois
pas compter, madame, parmi ces promesses certains airs de
vous, aussi populaires que les airs de salon, avec des paroles
russes écrites en dessous et avec un accompagnement de vos
grâces noté comme le permet la chose et sans lequel, à la
distance de neuf cents lieues, il y aurait quelque difficulté à faire
sentir toute leur beauté. Comme j’abuse de votre bienveillance !