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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XX.djvu/64

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six mille francs, peut-être même un peu moins ; mais je ne saurais me persuader que ce soit tout ce que nous avons à attendre d’une souveraine qui est la générosité même ; pour laquelle j’ai fait, dans un âge assez avancé, plus de quinze cents lieues, qui n’a pas dédaigné un présent, et pour laquelle j’ai travaillé de toutes les manières possibles, presque nuit et jour, pendant cinq mois de temps : aussi mon conducteur m’a-t-il insinué le contraire. Quand les choses resteraient comme elles sont, je n’aurais pas à me plaindre. Elle m’a si généreusement traité auparavant, qu’il n’y aurait qu’une avidité insatiable qui m’en ferait exiger davantage ; cependant il faut attendre, et même assez longtemps, avant que de rien prononcer. Elle sait que ses dons ne m’ont pas enrichi, et je suis sûr qu’elle a de l’estime, j’oserais même dire de l’amitié pour moi. Je lui avais autrefois proposé de refaire l’Encyclopédie pour elle ; elle est revenue d’elle-même sur ce projet qui lui plaisait, car tout ce qui a un caractère de grandeur l’entraîne. Après avoir discuté avec elle ce qui concerne sa gloire, elle m’a renvoyé par devant un de ses ministres pour la chose d’intérêt. Tout s’est arrangé entre ce ministre et moi ; et au moment où je t’écris, ce ministre me fait dire qu’incessamment il me fera passer les fonds pour aller en avant. Ces fonds seront très-considérables. Il ne s’agit pas moins que de quarante mille roubles, ou deux cent mille francs, dont nous aurions la rente en tout d’abord et ensuite en partie, à peu près pendant six ans ; c’est-à-dire environ dix mille francs pendant quinze mois, cinq mille francs pendant les quinze mois suivants, etc., ce qui, joint à notre revenu courant, arrangerait très-bien nos affaires. Mais il faut garder un profond silence là-dessus : premièrement, parce que la chose, quoique vraisemblable, n’est pas sûre ; secondement, c’est que, quand les fonds seraient arrivés, et que la chose serait sûre, il faudrait encore s’en taire à cause de nos enfants qui nous tourmenteraient pour avoir de nous des fonds qu’il faudrait regarder comme un dépôt sacré, et pour plusieurs autres raisons qui te viendront sans que je te les dise. Ainsi, bonne amie, prépare-toi incessamment à déménager. Je t’avertirai lorsqu’il en sera temps, afin que tu trouves un logement dans un quartier qui s’arrange avec cette affaire. Cette fois-ci, cette Encyclopédie me vaudra quelque chose et ne me causera aucun chagrin ; car