Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XX.djvu/70

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sûreté de mon retour. Je pars le 5 mars, au milieu d’un dégel, et j’ai trente jours d’une saison qui n’aurait pas été plus favorable, quand elle aurait été faite à mes ordres. À quelques verstes de Pétersbourg, l’hiver se remontre, des neiges tombent, les chemins se durcissent, et les terribles claies dont ils sont faits se couvrent de matelas de duvet sur lesquels nous glissons plus de deux cents lieues. La Courlande, cette énorme fondrière, m’offre la plus belle route, une grande glace sur laquelle la neige affermit le pas des chevaux ; le reste du voyage, des matinées et des soirées d’un bal d’hiver, et entre ces matinées et ces soirées, des jours d’une chaleur de printemps et même d’été. C’est ainsi que j’arrive à La Haye en moins de temps que les courriers n’en emploient dans la belle saison. Cependant, mon ami, nous avons laissé en chemin quatre voitures fracassées. J’ai pensé me perdre dans les glaces à Riga, et me fracasser un bras et une épaule dans un bac, pendant la nuit, à Mittau. En allant, j’ai fait deux maladies, l’une à Dresbourg, l’autre à Nerva ; deux inflammations d’entrailles. J’ai eu deux fois la néva à Pétersbourg. La néva est la diarrhée que donnent les eaux de cette rivière, comme les eaux de la Seine à Paris ; quelques jours avant mon départ, une violente attaque de poitrine dont on a cru que je mourrais, et qui s’est dissipée presque aussi promptement qu’elle est venue. Mon ami, c’est ici le pays des grands phénomènes, tant au physique qu’au moral ; sans vouloir en trop dire de bien, soyez sûr que celui qui y apporte des talents et des mœurs y trouve une récompense très-convenable. La plupart des Français qui y sont se déchirent et se haïssent, se font mépriser et rendent la nation méprisable ; c’est la plus indigne racaille que vous puissiez imaginer. Mais nous jaserons de tout cela à notre aise. Mais quand ? Peut-être avant quinze jours ; peut-être pas avant trois mois. Je suis chargé de publier les statuts des différents établissements que Sa Majesté a formés pour l’utilité de ses sujets. Si le libraire hollandais est un juif, un arabe, comme à son ordinaire, je pars pour Paris ; et si je puis l’amener à des conditions à peu près raisonnables, je reste. Mais j’oubliais de vous parler d’un de mes plaisirs les plus vifs, c’est d’avoir embrassé un matin M. le comte de Crillon et M. le prince de Salm. Si vous saviez ce que produit la présence d’un compatriote qu’on aime qu’on estime, et qu’on retrouve subite-