Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XX.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

discours sur toutes ; c’est la glace devant laquelle l’homme qui respire a passé. Le peuple sait qu’il faut que le blé soit à bon marché, parce qu’il gagne peu, et qu’il a grand’faim ; mais il ignore et il ignorera toujours les moyens difficiles de concilier les vicissitudes des récoltes avec son besoin qui ne varie point. Qui est-ce qui décidera la querelle des économistes et de leurs adversaires ? La raison. Et où est la raison ? Dans les hommes d’État ? Assurément elle y est en puissance, mais ceux qui croient tout savoir n’ont guère la tentation de s’instruire. Dans le peuple ? Il n’a malheureusement pas le temps de la cultiver, de l’étendre et de s’en servir. Dans les gens du monde ? Quand ils se résoudraient à vous sacrifier l’impérieuse frivolité de leurs distractions, ils ne vous entendraient pas. L’intérêt remue et déplace trop les gens d’affaires pour en espérer la lecture suivie d’un ouvrage qui demande de la tenue. À qui vous êtes-vous donc adressé ? Qui est-ce qui parlera de votre travail et en parlera dignement ? Qui est-ce qui en assurera le mérite et en accéléra le fruit ? C’est celui dont la fonction habituelle est de méditer, celui dont la lampe éclairait vos pages pendant la nuit, tandis que le reste des citoyens dormait autour de lui, épuisés par la fatigue des travaux ou des plaisirs ; c’est l’homme de lettres, le littérateur, le philosophe. Songez que les ouvrages que nous feuilletons le moins, avec le plus de négligence et de partialité, ce sont ceux de nos collègues. La chose dont on parle le plus est celle qu’on sait le moins, et cela n’est pas si extravagant qu’on croirait bien ; on se tait naturellement de ce qu’on croit avoir approfondi. Quoi qu’il en soit, nous sommes ce petit nombre de têtes qui, placées sur le cou du grand animal, traînent après elles la multitude aveugle de ses queues. Vous êtes, dit-on, menacé d’une grêle de réponses. Je m’en réjouis ; et vous aussi, n’est-ce pas ? Je suis bien impatient et bien curieux de voir comment l’école se démêlera d’objections qui m’ont paru tout à fait insolubles. Je n’aurai pas tout le plaisir que je me promets si l’abbé Morellet n’est pas un de vos antagonistes. On prétendait, il y a quelques jours, que deux hommes ne pouvaient disputer publiquement sur la même question sans finir par s’aigrir, s’injurier et se haïr, et qu’ils n’avaient rien de plus sage à faire que d’éviter ce terrible conflit de l’amour-propre, s’ils voulaient continuer de s’estimer et de s’aimer. Sans trop pré-