Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XX.djvu/84

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drai mes bras élevés vers le ciel, sur la montagne de Meudon. Puissent les littérateurs qui se livreront au théâtre vous devoir leur indépendance ! mais, à vous parler vrai, je crains bien qu’il ne soit plus difficile de venir à bout d’une troupe de comédiens que d’un parlement. Le ridicule n’aura pas ici la même force. N’importe, votre tentative n’en sera ni moins juste, ni moins honnête. Je vous salue, et vous embrasse. Vous connaissez depuis longtemps les sentiments d’estime avec lesquels je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


LXIX

À NAIGEON[1]


Cet homme[2] dites-vous, est né jaloux de toute espèce de mérite. Sa manie de tout temps a été de rabaisser, de déchirer ceux qui avaient quelque droit à notre estime. Soit ; mais qu’est-ce que cela fait ? Est-on un sot, parce que cet homme l’a dit ? Non. Qu’en arrive-t-il ? Le cri public s’élève en faveur du mérite rabaissé, déchiré, et il ne reste au censeur injuste que le titre d’envieux et de jaloux.

Cet homme, dites-vous, est ingrat. Son bienfaiteur est-il tombé dans la disgrâce, il lui tourne le dos, et se hâte d’aller encenser l’idole du moment. Soit ; mais qu’est-ce que cela fait ? En méprise-t-on moins l’idole et son encenseur ? Non. Qu’en arrive-t-il ? On dit peut-être de l’homme disgracié qu’il avait mal placé sa faveur, et de l’autre, qu’il est un ingrat.

Cet homme, dites-vous, a fait l’apologie d’un vizir dont les opérations écrasaient les particuliers, sans soulager l’empire. Soit ; mais qu’est-ce que cela fait ? Le peuple en est-il plus opprimé, et le vizir moins digne du mortier d’Amurat ? Non. Et

  1. Publiée, comme la lettre à Mme Diderot, dans les Mélanges de la Société des Bibliophiles français (t. V, 1827), par M. H. de Chateaugiron, qui tenait l’original (sans date ni signature) de Mme Dufour de Villeneuve, sœur de Naigeon. Il en existe un tirage à part.
  2. Voltaire.