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LXXIII

À CATHERINE II[1].
Paris, ce 25 août 1781.

Madame, les mots les plus simples de Votre Majesté Impériale ne sont pas de nature à se laisser oublier par l’homme doué d’un sens ordinaire qui a eu le bonheur de vous approcher et de les entendre. Je me souviens qu’entre les motifs qu’elle employait pour m’attacher à sa personne, elle me disait que le courant des affaires journalières consumait tout son temps, et qu’en me fixant auprès d’elle, elle m’occuperait à méditer sur différents textes relatifs à la législation. Malgré la profonde connaissance qu’elle a des talents et des esprits, je crois sincèrement et j’oserai lui dire qu’elle avait trop bonne opinion de moi, et que la tâche qu’elle se proposait de m’imposer aurait exigé tout le génie d’un Montesquieu. Quel autre que cet homme était capable de concevoir une idée digne de la réflexion de Catherine II ? Mais il n’est plus, ce Montesquieu, et son successeur se fera attendre longtemps. Que pensera donc de moi Votre Majesté Impériale, si, au défaut d’un penseur aussi rare, j’avais la témérité de lui proposer un sujet autant au-dessus de moi qu’au-dessous de l’auteur de votre bréviaire[2] ? C’est un jeune homme ; il a des parents honnêtes, et il n’est pas sans ressources. Rien ne l’attache à son pays, ni passions, ni intérêts. Il désire d’être utile ; il a profondément étudié nos lois, nos usages, nos coutumes, les progrès successifs de notre civilisation ; il a le sens juste, le caractère doux et simple, des mœurs pures, des lumières sans prétention ; avec de la modestie, les connaissances qu’une souveraine qui songe la nuit et le jour au bonheur

  1. Cette lettre accompagnait les premiers cahiers de : De la Monarchie française et de ses lois, par Pierre Chabrit, conseiller au conseil souverain de Bouillon, et avocat au Parlement de Paris. Bouillon et Paris, 1783-85, 2 v. in-8. Elle est imprimée en tête du second volume.
  2. C’est ainsi que Catherine appelait le livre de l’Esprit des lois. (Br.)