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jecturer ; & ce n’est qu’après avoir poussé un essai à son plus grand point de perfection, que l’on s’assure de la bonté ou de la médiocrité de la mine.

La Nature a tellement destiné certaines mines, plûtôt que d’autres, à être acier, que dans quelques Manufactures de France, où l’on fait de l’acier naturel, on trouve dans la même fonte un assemblage des deux mines bien marqué ; elles se tiennent séparées dans le même bloc. Il y en a d’autres où l’acier surnage le fer dans la fonte. Cette espece donne même de l’acier excellent & à très-bon compte : mais on en tire peu. Voici un fait arrivé dans une mine d’Alsace, & qui prouvera que plus les mines tendent à être acier, ou acier plus pur, moins elles ont de dispositions à se mêler avec celles qui sont destinées à être fer forgé, ou acier moins pur. Le Mineur ayant trouvé un filon qui par ses caracteres extérieurs lui parut d’une qualité differente de l’arbre de la mine, il en présenta au Fondeur, qui de son chef en mit fondre avec la mine ordinaire ; mais quand il vint à percer son fourneau, les deux mines sortirent ensemble, sans se mêler ; la meilleure portée par la moins bonne ; d’où il s’ensuit que plus une mine est voisine de la qualité de l’acier, plus elle est legere.

Lorsqu’on a trouvé une mine de fer, & qu’on s’est assuré par les épreuves, qu’elle est propre à être convertie en acier naturel ; la premiere opération est de fondre cette mine. La seule différence qu’il y a dans cette fonte des aciéries, est celle des Forges où l’on travaille le fer ; c’est que dans les forges on coule le fer en gueuse, (Voyez Forge) & que dans les aciéries on le coule en plaques minces, & cela afin de pouvoir le briser plus facilement. Chaque pays, & presque chaque forge & chaque aciérie, a ses constructions de fourneaux, ses positions différentes de soufflets, ses fondants particuliers, ses charbons, ses bois ; mais ces variétés de manœuvres ne changent rien au fond des procédés.

Dans les aciéries de Dalécarlie, on fait rougir la premiere fonte ; on la forge, & on la fond une seconde fois. On fait la même chose à Quvarnbaka : mais ici on jette sur cette fonte des cendres mélées de vitriol & d’alun. En Alsace & ailleurs, on supprime la seconde fonte. A Saltzbourg, où l’on fait d’excellent acier, on le chauffe jusqu’au rouge blanc ; on met du sel marin dans de l’eau froide, & on l’y trempe. En Carinthie, en Stirie, on ne tient pas le fer rouge, & au lieu de sel, c’est de l’argile que l’on detrempe dans l’eau. Ailleurs, on frappe le fer rouge long-tems avant que de le tremper ; ensorte que quand on le plonge dans l’eau, il est d’un rouge eteint.

Dans presque toutes les aciéries, on jette des crasses ou scories sur la fonte, pendant quelle est en fusion ; on a soin de l’en tenir couverte, pour empêcher qu’elle ne se brûle. En Suede, c’est du sable de riviere. En Carinthie, Tirol & Stirie, on emploie au même usage des pierres à fusil pulvérisées. En Stirie, on ne fond que quarante à cinquante livres pesant de fer à la fois ; ailleurs, on fond jusqu’à cent & cent ving-cinq livres à la fois. Ici l’orifice de la tuyere est en demi-cercle ; ailleurs il est oval. On regarde dans un endroit la chaux comme un mauvais fondant ; ce fondant réussit bien en Alsace. Les fontes de Saltzbourg sont épaisses dans la fusion ; dans d’autres endroits on ne peut les avoir trop limpides & trop coulantes. Là, on agite la fonte, & on fait bien ; ici, on fait bien de la laisser tranquille. Quelques-uns ne veulent couler que sur des lits de sable de riviere fin & pur, & ils prétendent que l’acier en vaudra mieux ; en Alsace, on se contente d’un sable tiré de la terre, & l’acier n’en vaut peut-être pas moins.

Il faut attribuer toutes ces différences presqu’au-

tant au préjugé & à l’entêtement des ouvriers, qu’à

la nature des mines.

Après avoir instruit le Lecteur de toutes ces petites différences, qui s’observent dans la fonte de l’acier naturel, afin qu’il puisse les essayer toutes, & s’en tenir à ce qui lui paroîtra le mieux, relativement à la nature de la mine qu’il aura à employer ; nous allons reprendre ce travail, tel qu’il se fait à Dambach à sept lieues de Strasbourg, & le suivre jusqu’à la fin.

A mi-côte d’une des montagnes de Vosges, on ouvrit une mine de fer qui avoit tous les caracteres d’une mine abondante & riche. Elle rendoit en 1737 par la fusion cinquante sur cent ; les filons en étoient larges de quatre à cinq pieds, & on leur trouvoit jusqu’à vingt à trente toises de profondeur. Ils couroient dans des entre-deux de rochers extrèmement écartés ; ils jettoient de tous côtés des branches aussi grosses que le tronc, & que l’on suivoit par des galleries. La mine étoit couleur d’ardoise, composée d’un grain ferrugineux très-fin ; enveloppée d’une terre grasse, qui, dissoute dans l’eau, prenoit une assez belle couleur d’un brun violet. Quoiqu’on la pulverisât, la pierre d’aimant ne paroissoit point y faire la moindre impression ; l’aiguille aimantée n’en ressentoit point non plus à son approche : mais lorsqu’on l’avoit fait rôtir, & qu’on avoit dépouillé la terre grasse de son humidité visqueuse, l’aimant commençoit à s’y attacher.

Il est étonnant que les corps les plus compacts, comme l’or & l’argent, mis entre le fer & l’aimant, n’arrêtent en aucune façon l’action magnétique, & qu’elle soit suspendue par la seule terre grasse qui enveloppe la mine.

On tiroit cette mine en la cassant avec des coins, comme on fend les rochers, & on la voituroit dans un fourneau à fondre. Là on la couloit sur un lit de sable fin, qui lui donnoit la forme d’une planche de cinq à six piés de long sur un pié ou un pié & demi de largeur, & deux ou trois doigts d’épaisseur. Long-tems avant que de couler, on remuoit souvent avec des ringards, afin de mêler les deux especes de mines qui seroient restées séparées, même en fusion, sans cette précaution. Il eût été peut-être mieux de ne les point mêler du tout, & de ne faire couler que la partie supérieure, qui contenoit l’acier le plus pur. C’est aux Entrepreneurs à le tenter.

Après cette fonte, qui est la même que celle du fer, & qu’on verra à l’art. Forge, dans le dernier détail ; on transportoit les planches de fonte ou les gâteaux, dans une autre usine, qu’on appelle proprement Aciérie. C’est là que la fonte recevoit sa premiere qualité d’acier.

Pour parvenir à cette opération, on cassoit les plaques, ou gueuses froides, en morceaux de vingt-cinq à trente livres pesant ; on faisoit rougir quelques-uns de ces morceaux, & on les portoit sous le marteau qui les divisoit en fragmens de la grosseur du poing. On posoit ces derniers morceaux sur le bord d’un creuset qu’on remplissoit de charbon de hêtre : lorsque le feu étoit vif, on y jettoit ces fragmens les uns après les autres, comme si on eût voulu les fondre.

C’est ici une des opérations les plus délicates de l’art. Le degré de feu doit être ménagé de façon que ces morceaux de fonte se tiennent simplement mous pendant un tems très-notable. On a soin alors de les rassembler au milieu du foyer avec des ringards, afin qu’en se touchant, ils se prennent & soudent les uns aux autres.

Pendant ce tems les matieres étrangeres se fondent, & on leur procure l’écoulement par un trou fait au bas du creuset. Pour les morceaux réunis & soudés les uns aux autres, on en forme une masse