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De quatre cens & demi de fer, on retire un demi cent de fer pur, le reste est acier. Trois hommes font un millier par semaine.

On suit presque cette méthode de faire l’acier en Champagne, dans le Nivernois, la Franche-Comté, le Dauphiné, le Limosin, le Périgord, & même la Normandie.

Enfin à Fordinberg & autres lieux, dans le Roussillon & le pays de Foix, on fond la mine de fer dans un fourneau ; on lui laisse prendre la forme d’un creuset ou d’un pain rond par-dessous, & plat dessus, qu’on appelle un masset. Cette masse tirée du feu se divise en cinq ou six parties qu’on remet au feu, & qu’on allonge ensuite en barres. Un côté de ces barres est quelquefois fer, & l’autre acier.

Il suit de tout ce qui précede, qu’il ne faut point supposer que les étrangers aient des méthodes de convertir le fer en acier dont ils fassent des secrets : que le seul moyen de faire d’excellent acier naturel, c’est d’avoir une mine que la nature ait formée pour cela, & que quant à la maniere d’obtenir de l’autre mine un acier artificiel, si celle de M. de Réaumur n’est pas la vraie, elle reste encore à trouver.

L’acier mis sur un petit feu de charbon, prend différentes couleurs. Une lame prend d’abord du blanc ; 2°. un jaune léger comme un nuage ; 3°. ce jaune augmente jusqu’à la couleur d’or ; 4°. la couleur d’or disparoît, & le pourpre lui succede ; 5°. le pourpre se cache comme dans un nuage, & se change en violet ; 6°. le violet se change en un bleu élevé ; 7°. le bleu se dissipe & s’éclaircit ; 8°. les restes de toutes ces couleurs se dissipent, & font place à la couleur d’eau. On prétend que pour que ces couleurs soient bien sensibles, il faut que l’acier mis sur les charbons ait été bien poli, & graissé d’huile ou de suif.

Nos meilleurs aciers se tirent d’Allemagne & d’Angleterre. Celui d’Angleterre est le plus estimé, par sa finesse de grain & sa netteté : on lui trouve rarement des veines & des pailles. L’acier est pailleux quand il a été mal soudé ; les pailles paroissent en écailles à sa surface : les veines sont de simples traces longitudinales. L’acier d’Allemagne au contraire est veineux, pailleux, cendreux, & piqué de nuances pâles qu’on apperçoit quand il est émoulu & poli. Les cendrures sont de petites veines tortueuses : mais les piquûres sont de petits trous vuides que les particules d’acier laissent entr’elles quand leur tissu n’est pas assez compact.

Les pailles & les veines rendent l’ouvrage malpropre, & le tranchant des instrumens inégal, foible, mou. Les cendrures & les piquûres le mettent en scie.

Pour distinguer le bon acier du mauvais, prenez le morceau que vous destinez à l’ouvrage dans des tenailles, mettez-le dans un feu de terre ou de charbon, selon le pays ; faites-le chauffer doucement, comme si vous vous proposiez de le souder : prenez garde de le surchauffer ; il vaut mieux lui donner deux chaudes qu’une ; l’acier surchauffé se pique, & le tranchant qu’on en fait est en scie, & par conséquent rude à la coupe ; ne surchauffez donc pas. Quand votre acier sera suffisamment chaud, portez-le sur l’enclume ; prenez-un marteau proportionné au morceau d’acier que vous éprouvez ; un marteau trop gros écrasera, & empêchera de souder : trop petit, il ne fera souder qu’à la surface, & laissera le cœur intact ; le grain sera donc inégal : frappez doucement votre morceau d’acier, jusqu’à ce qu’il ait perdu la couleur de cerise ; remettez-le au feu : faites-le rougir un peu plus que cerise ; plongez-le dans l’eau fraîche ; laissez-le réfroidir ; émoulez-le & le polissez ; essayez-le ensuite & le considérez : s’il a des pailles, des cendrures, des veines, des piquûres, vous les appercevrez. Il arrivera quelquefois

qu’un, deux, trois, ou même tous les côtés du morceau éprouvé seront parfaits : s’il n’y en a qu’un de bon, faites-en le tranchant de votre ouvrage ; par ce moyen, les imperfections de l’acier se trouveront au dos de la piece : mais il y a des pieces à deux tranchans. L’acier ne sauroit alors être trop bon ni trop scrupuleusement choisi : il faut qu’il soit pur & net par ses quatre faces & au cœur.

L’acier d’Allemagne vient en barils d’environ deux piés de haut, & du poids de cent cinquante livres. Il étoit autrefois très-bon : mais il a dégénéré.

L’étoffe de Pont vient en barres de différentes grosseurs : c’est le meilleur acier pour les gros instrumens, comme ciseaux, forces, serpes, haches, &c. pour aciérer les enclumes, les bigornes, &c.

L’acier de Hongrie est à peu près de la même qualité que l’étoffe de Pont, & on peut l’employer aux mêmes usages.

L’acier de rive se fait aux environs de Lyon, & n’est pas mauvais : mais il veut être choisi par un connoisseur, & n’est propre qu’à de gros tranchans ; encore lui préfere-t-on l’étoffe de Pont, & l’on a raison. C’est cependant le seul qu’on emploie à Saint-Etienne & à Thiers.

L’acier de Nevers est très-inférieur à l’acier de rive : il n’est bon pour aucun tranchant : on n’en peut faire que des socs de charrue.

Mais le bon acier est propre à toutes sortes d’ouvrages entre les mains d’un ouvrier qui sait l’employer. On fait tout ce qu’on veut avec l’acier d’Angleterre. Il est étonnant qu’en France, ajoûte l’Artiste de qui je tiens les jugemens qui précedent sur la qualité des aciers, (c’est M. Foucou, ci-devant Coutelier) on ne soit pas encore parvenu à faire de bon acier, quoique ce Royaume soit le plus riche en fer, & en habiles ouvriers. J’ai bien de la peine à croire que ce ne soit pas plûtôt défaut d’intelligence dans ceux qui conduisent ces manufactures, que défaut dans les matieres & mines qu’ils ont à travailler. Il sort du Royaume près de trois millions par an pour l’acier qui y entre. Cet objet est assez considérable pour qu’on y fît plus d’attention, qu’on éprouvât nos fers avec plus de soin, & qu’on tâchât enfin d’en obtenir, ou de l’acier naturel, ou de l’acier artificiel, qui nous dispensât de nous en fournir auprès de l’étranger. Mais pour réussir dans cet examen, des Chimistes, sur-tout en petit, des contemplatifs systématiques ne suffisent pas : il faut des ouvriers, & des gens pourvûs d’un grand nombre de connoissances expérimentales sur les mines avant que de les mettre en fer, & sur l’emploi du fer au sortir des forges. Il faut des hommes de forges intelligens qui aient opéré, mais qui n’aient pas opéré comme des automates, & qui aient eu pendant vingt à trente ans le marteau à la main. Mais on ne fait pas assez de cas de ces hommes pour les employer : cependant ils sont rares, & ce sont peut-être les seuls dont on puisse attendre quelque découverte solide.

Outre les aciers dont nous avons fait mention, il y a encore les aciers de Piémont, de Clamecy, l’acier de Carme, qui vient de Kernant en Allemagne ; on l’appelle aussi acier à la double marque ; il est assez bon. L’acier à la rose, ainsi nommé d’une tache qu’on voit au cœur quand on le casse. L’acier de grain de Motte, de Mondragon, qui vient d’Espagne ; il est en masses ou pains plats de dix-huit pouces de diametre, sur deux, trois, quatre, cinq d’épaisseur. Il ne faut pas oublier l’acier de Damas, si vanté par les sabres qu’on en faisoit : mais il est inutile de s’étendre sur ces aciers, dont l’usage est moins ordinaire ici.

On a trouvé depuis quelques années une maniere particuliere d’aimanter l’acier. Voyez là-dessus l’article Aimant. Voyez aussi l’article Fer sur les proprié-