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Jesus-Christ. Le premier auteur qui parle de faire de l’or est Zozime, qui vivoit vers le commencement du cinquieme siècle. Il a composé en Grec un Livre sur l’art divin de faire de l’or & de l’argent. C’est un Manuscrit qui est à la Bibliotheque du Roi. Cet ouvrage donne lieu de juger que lorsqu’il a été écrit, il y avoit déjà long-tems que la chimie étoit cultivée ; puisqu’elle avoit déjà fait ce progrès.

Il n’est point parlé du remede universel, qui est l’objet principal de l’Alchimie, avant Geber, auteur Arabe, qui vivoit dans le septieme siecle.

Suidas prétend que si on ne trouve point de monument plus ancien de l’Alchimie, c’est que l’Empereur Dioclétien fit brûler tous les Livres des anciens Egyptiens ; & que c’étoient ces Livres qui contenoient les mysteres de l’Alchimie.

Kirker assûre que la théorie de la Pierre-philosophale est expliquée au long dans la table d’Hermès, & que les anciens Egyptiens n’ignoroient point cet art.

On sait que l’Empereur Caligula fit des essais, pour tirer de l’or de l’orpiment. Ce fait est rapporté par Pline, Hist. nat. ch. iv. liv. XXXIII. Cette opération n’a pû se faire sans des connoissances de Chimie, supérieures à celles qui suffisent dans la plûpart des arts & des expériences pour lesquelles on employe le feu.

Au reste, le monde est si ancien, & il s’y est fait tant de révolutions, qu’il ne reste point de monumens certains de l’état où étoient les sciences dans les tems qui ont précedé les vingt derniers siecles ; je n’en rapporterai qu’un exemple : la Musique a été portée, dans un certain tems chez les Grecs, à un haut point de perfection ; elle étoit si fort au-dessus de la nôtre, à en juger par ses effets, que nous avons peine à le comprendre ; & on ne manqueroit pas de le révoquer en doute, si cela n’étoit bien prouvé par l’attention singuliere qu’on sait que le gouvernement des Grecs y donnoit, & par le témoignage de plusieurs auteurs contemporains & dignes de foi. Voyez An ad sanitatem musice, de M. Malouin. A Paris, chez Quillau, rue Galande.

Il se peut aussi que la Chimie ait de même été portée à un si haut point de perfection, qu’elle ait pû faire des choses que nous ne pouvons faire aujourd’hui, & que nous ne comprenons pas comment il seroit possible que l’on exécutât. C’est la Chimie ainsi perfectionnée qu’on a nommée Alchimie. Cette science, comme toutes les autres, a péri dans certains tems, & il n’en est resté que le nom. Dans la suite, ceux qui ont eu du goût pour l’Alchimie, se sont tout d’un coup mis à faire les opérations, dans lesquelles la renommée apprend que l’Alchimie réussissoit ; ils ont ainsi cherché l’inconnu sans passer par le connu : ils n’ont point commencé par la Chimie, sans laquelle on ne peut devenir Alchimiste que par hasard.

Ce qui s’oppose encore fort au progrès de cette science, c’est que les Chimistes, c’est-à-dire, ceux qui travaillent par principes, croient que l’Alchimie est une science imaginaire, à laquelle ils ne doivent pas s’appliquer ; & les Alchimistes au contraire croient que la chimie n’est pas la route qu’ils doivent tenir.

La vie d’un homme, un siecle même, n’est pas suffisant pour perfectionner la Chimie ; on peut dire que le tems où a vécu Beccher, est celui où a commencé notre Chimie. Elle s’est ensuite perfectionnée du tems de Stahl, & on y a encore bien ajoûté depuis ; cependant elle est vraissemblablement fort éloignée du terme où elle a été autrefois.

Les principaux auteurs d’Alchimie sont Geber, le Moine, Bacon, Ripley, Lulle, Jean le Hollandois, & Isaac le Hollandois, Basile Valentin, Paracelse,

Van Zuchten, Sendigovius, &c. (M)

ALCHIMISTE, s. m. celui qui travaille à l’Alchimie. Voyez Alchimie. Quelques anciens Auteurs Grecs se sont servis du mot χρυσοποιητὴς, qui signifie faiseur d’or, pour dire Alchimiste, & de χρυσοποιητικὴ, l’art de faire de l’or, en parlant de l’Alchimie. On lit dans d’autres Livres Grecs, ποιητὴς, fictor, faiseur, Alchimiste, qui signifie aussi Auteur de vers, Poëte. En effet, la Chimie & la Poësie ont quelque conformité entr’elles. M. Diderot dit, pag. 8 du Prospectus de ce Dictionnaire : la Chimie est imitatrice & rivale de la nature ; son objet est presqu’aussi étendu que celui de la nature même : cette partie de la Physique est entre les autres, ce que la Poësie est entre les autres genres de littérature ; ou elle décompose les êtres, ou elle les revivifie, ou elle les transforme, &c.

On doit distinguer les Alchimistes en vrais & en faux, ou fous. Les Alchimistes vrais sont ceux qui, après avoir travaillé à la Chimie ordinaire en Physiciens, poussent plus loin leurs recherches, en travaillant par principes & méthodiquement à des combinaisons curieuses & utiles, par lesquelles on imite les ouvrages de la nature, ou qui les rendent plus propres à l’usage des hommes, soit en leur donnant une perfection particuliere, soit en y ajoûtant des agrémens qui, quoique artificiels, sont dans certains cas plus beaux que ceux qui viennent de la simple nature dénuée de tout art, pourvû que ces agrémens artificiels soient fondés sur la nature même, & l’imitent dans son beau.

Ceux au contraire qui sans savoir bien la Chimie ordinaire, ou qui même sans en avoir de teinture, se jettent dans l’Alchimie sans méthode & sans principes, ne lisant que des Livres énigmatiques qu’ils estiment d’autant plus qu’ils les comprennent moins, sont de faux Alchimistes, qui perdent leur tems & leur bien, parce que travaillant sans connoissance, ils ne trouvent point ce qu’ils cherchent, & font plus de dépense que s’ils étoient instruits, parce qu’ils employent souvent des choses inutiles, & qu’ils ne savent pas sauver certaines matieres qu’on peut retirer des opérations manquées.

D’ailleurs, ils ont pour les charlatans autant de goût que pour les Livres énigmatiques : ils ne se soucient pas d’un bon Livre qui parle clairement, mais ne flate point leur cupidité comme font les Livres énigmatiques auxquels on ne comprend rien, & auxquels les gens entêtés du fabuleux, ou du moins du mystérieux, donnent le sens qu’ils veulent y trouver, & qui est plus suivant leur imagination ; aussi ces faux Alchimistes s’ennuieront aux discours d’un homme instruit de cette science, qui la dévoile, & qui réduit ses opérations à leur juste valeur : ils écouteront plus volontiers des hommes à secrets aussi ignorans qu’eux, mais qui font profession d’exciter leur curiosité.

Il faut dans toute chose, & surtout dans celles de cette nature, éviter les extrémités : on doit éviter également d’être superstitieux, ou incrédule. Dire que l’Alchimie n’est qu’une science de visionnaires, & que tous les Alchimistes sont des fous ou des imposteurs, c’est porter un jugement injuste d’une science réelle à laquelle des gens sensés & de probité peuvent s’appliquer : mais aussi il faut se garantir d’une espece de fanatisme dont sont particulierement susceptibles ceux qui s’y livrent sans discernement, sans conseil & sans connoissances préliminaires, en un mot sans principes. Or les principes des sciences sont des choses connues ; on y doit passer du connu à l’inconnu : si en Alchimie, comme dans les autres sciences, on passe du connu à l’inconnu, on pourra en tirer autant & plus d’utilité que de certaines autres sciences ordinaires. (M)